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Libération
Décryptage

Un pape très «soft» au pays du libéralisme

Aux Etats-Unis, les idées progressistes et écologistes de François embarrassent les conservateurs. Il prononcera, vendredi, un discours très attendu aux Nations unies.
Le pape François, le 24 septembre au Congrès, à Washington. (Photo Vincenzo Pinto. AFP)
publié le 24 septembre 2015 à 17h30

D'entrée de jeu, Bergoglio a affiché la couleur. Dans les jardins de la Maison Blanche, il a lancé : «Comme fils d'une famille d'immigrés, je suis heureux d'être un hôte de ce pays, qui a été édifié en partie par de semblables familles.» Aux Etats-Unis qu'il visite jusqu'à dimanche, soucieux de ne pas être récupéré politiquement, le pape n'est pas, toutefois, entré dans le vif du sujet, procédant davantage par allusions et symboles, notamment pendant son discours devant le Congrès. Une petite fille d'origine mexicaine a franchi les barrières de sécurité pour lui remettre une lettre pour lui demander de plaider la cause des migrants. Geste spontané ou mise en scène ? La polémique est ouverte outre-Atlantique.

Comment le pape François est-il perçu aux Etats-Unis ?

Sur son passage, l'enthousiasme des foules est au rendez-vous. Sans atteindre tout à fait la popularité de feu Jean-Paul II, François est très aimé aux Etats-Unis. Selon une étude du Pew Research Center, 86% des Américains affirment avoir une bonne opinion du jésuite argentin. Il n'en reste pas moins que paradoxalement, il est très controversé. Quelques mois après son élection, la tendance dure de la droite catholique américaine l'a carrément qualifié de «marxiste». Récemment, le magazine Newsweek se demandait, en une, s'il était catholique. «Je suis capable de réciter le credo [la profession de foi chrétienne, ndlr] si cela était nécessaire», a taclé le pape, dans l'avion qui l'amenait aux Etats-Unis.

Le message politique de Bergoglio a bien dû mal à passer au pays d'Obama. Sa virulente critique du libéralisme, ses appels répétés à un changement de système et à un «développement durable», son engagement pour l'écologie, son soutien aux mouvements populaires, sa défense des émigrés sont autant de sujets qui fâchent une large part du catholicisme. Parmi ses principaux adversaires figure le cardinal américain Raymond Burke, lui, en tournée ces jours-ci en France. Devant le Congrès, le pape l'a joué plus spirituel que politique pour ne pas aviver les controverses.

Qu’est venu dire le pape François dans ce pays ?

Avant d'arriver à Washington, Bergoglio a démenti être un gauchiste, reconnaissant tout juste «donner l'impression d'être un peu plus à gauche» (sous entendu, qu'à droite). «Mon enseignement, c'est la doctrine sociale de l'Eglise», répète à l'envie, pour se défendre, le chef de l'Eglise catholique. Bergoglio tranche bel et bien avec ses prédécesseurs. «Il ajoute des chapitres à cette doctrine sociale, estime le théologien Laurent Lemoine, spécialiste des questions éthiques. Sur l'écologie, c'est très clair, par exemple. En tant que telle, la doctrine sociale n'est pas un dogme, comme la Trinité. Elle est évolutive. Et le pape François la fait évoluer.» C'est bien ce que lui reprochent certains milieux aux Etats-Unis.

«Le pape est sur ligne très réformiste, soutient le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel. Mais il est obligé de composer, de louvoyer car il fait face à de violentes oppositions.» Fidèle à la notion d'«option préférentielle pour les pauvres» qui a marqué l'Eglise latino-américaine, le pape privilégie les questions sociales aux questions d'éthique familiale, à l'inverse de son prédécesseur Benoît XVI. «Il a même une conception sociale de la famille, lieu de solidarité et de refuge plus que de transmission de valeurs catholiques», pointe Laurent Lemoine. Face à un tel pape, les conservateurs américains ont bien du mal à s'y retrouver.

Dans ses discours, autant au Congrès jeudi que devant l'assemblée générale des Nations unies vendredi, le jésuite argentin assure le service après-vente de son encyclique consacrée à l'écologie. Le pape estime que c'est «un moment critique de l'histoire» et qu'il ne faut pas laisser la question écologique aux générations futures. Il a plaidé aussi la cause des migrants. Assez soft au Congrès, Bergoglio sera plus mordant à l'ONU. Il est le troisième pape à se rendre à l'ONU. Le premier fut Paul VI en 1965, une figure qu'admire François, son pape de prédilection. «Plus jamais la guerre», s'était écrié, en pleine guerre froide, Paul VI à la tribune. Bergoglio devrait retrouver ces accents-là. Il estime, en effet, que le monde vit une «Troisième Guerre mondiale» par «fragments».

François viendra-t-il en France ?

Paris souhaitait vivement sa visite pendant la tenue de la conférence sur le climat (COP 21). L'hypothèse est très peu vraisemblable. Une visite en France semble purement et simplement compromise. Le pape François ne s'intéresse guère à l'Hexagone. Il regrette, selon des proches, le peu de soutien manifesté publiquement par l'épiscopat français à sa volonté de réformer de l'Eglise catholique. La désastreuse affaire de la nomination de l'ambassadeur de France auprès du Saint-Siège (qui n'est toujours pas réglée) a, elle aussi, laissé des traces. Bref, sous la présidence Hollande, le pape François risque de ne pas se hasarder sur le sol français.