Des armoires à glace, avec des couronnes de fleurs et des colliers de coquillages : les Pacific Climate Warriors, témoins venus d'îles du Pacifique menacées par la montée des eaux et réunis par l'ONG 350.org, sont en Europe pour raconter leur histoire. D'abord ce week-end, pour l'arrivée du Tour Alternatiba à Paris, où 50 000 personnes vont converger (lire Libération du 21 septembre). Puis au Vatican, pour rencontrer le pape François. Au même moment, dimanche à New York, les chefs d'Etat du monde entier seront réunis par le Secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, pour discuter de leurs attentes pour l'Accord de Paris. Ce texte, qui doit être signé en décembre lors de la COP21, devrait contraindre les Etats à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, responsables du changement climatique.
Pour ces jeunes du Pacifique, le voyage a été long. «J'ai dû prendre un bateau jusqu'aux îles Samoa, un avion pour les Fidji, un autre pour Sydney, puis pour Dubaï, avant d'arriver à Paris, énumère Litia Maiava, qui vient des îles confettis de Tokelau. 98 heures de trajet !» Des Fidji aux Kiribati en passant par les îles Marshall, leurs micro-Etats subissent, en première ligne, les impacts de ces dérèglements, avec des océans dont le niveau pourrait monter de 86 cm d'ici la fin du siècle. Raedena, Litiana, Toani ou Siliveseteli racontent, parfois au bord des larmes, les plages qui disparaissent, les côtes érodées, les coraux fracassés, les maisons inondées, l'eau potable contaminée par le sel, l'alimentation menacée… Depuis quelques mois, ces jeunes organisent des actions pour dénoncer la responsabilité de l'homme dans ces bouleversements qui hypothèquent l'avenir de leurs îles. En encerclant en canoë, par exemple, des ports australiens exportateurs de charbon. Ils ne veulent pas être vus comme des victimes mais, jouant sur l'oxymore, comme des «guerriers du Pacifique».
Photos William Beaucardet
Litia Maiava 32 ans, Tokelau
«Les Tokelau, c’est trois atolls, et environ 1 400 habitants. Les îles sont magnifiques, avant on y vivait sans stress. Aujourd’hui, tout le monde est très inquiet. Mon île devient de plus en plus petite à cause de la montée des eaux. Quand j’étais petite, je jouais beaucoup sur la plage. Aujourd’hui, il n’y a plus de plage ! Imaginez dans vingt ans : il n’y aura plus rien. On est obligés de reconstruire nos maisons, encore et toujours : c’est sans fin. C’est pour ça que je suis ici. Pour dire au monde qu’on est des humains, comme vous. Les gens nous disent que la seule solution, c’est qu’à terme, on migre, on aille s’installer en Nouvelle-Zélande. Pourquoi devrions-nous quitter notre pays ? Je ne quitterai jamais mon île à cause du changement climatique.»
Raedena Solomona 25 ans,Samoa
«Au Samoa, il y a 9 îles ; quatre sont encore habitables. Nous avons de la chance à Manono, l’île principale, nous avons de petites montagnes. Sur un atoll, le point le plus haut est la cime du cocotier… Un de mes oncles, sur l’île de Upolu, a dû déménager vers le centre. Certaines nuits, on se réveille et il y a de l’eau au pied du lit. Nous ne voulons pas devenir des réfugiés climatiques. Nous voulons garder nos terres. Chaque île a sa culture, ses traditions, sa langue. Nous, on se fait tatouer jusqu’aux hanches. Les hommes, ça monte plus haut. Ils représentent la famille, les enfants, et là, ce sont les vagues qui se brisent sur nos maisons. Ça signifie qui on est, d’où on vient… Comme une carte d’identité. On est peut-être un tout petit point sur la carte du monde, mais nous représentons un héritage.»
Litiana Kalsrap 23 ans, Port-Vila, Vanuatu
«Vanuatu a connu en mars, avec le cyclone Pam, de classe 5, son deuxième pire cyclone en moins de dix ans. Savoir qu’ils vont augmenter, c’est une chose, le vivre, c’en est une autre. Six mois après, on est toujours en situation de survie dans les 83 îles de l’archipel. Quand je surfe, je vois bien que les vagues sont plus fortes. Elles fracassent les coraux, déjà fragilisés par l’acidification. Je me sens comme Nemo qui lutte pour survivre. Les saisons sèche et humide se confondent de plus en plus, ça perturbe le cycle des cultures. Toutes les armes sont utiles pour que Vanuatu signifie toujours «les îles éternelles». Moi, ce sera le droit international de l’environnement. On est à l’avant-garde de la lutte ; après nous, ce seront les autres…»
Niten Anni 23 ans, Iles Marshall
«Je viens juste d’être diplômé en sciences environnementales. Pour l’instant, je suis bénévole dans une association qui fait de la prévention dans les écoles sur le changement climatique. J’ai été élevé par ma grand-mère, et elle m’a toujours montré à quel point le paysage avait changé. Quand j’étais petit, j’allais faire de la plongée avec mon oncle, et on voyait toutes les couleurs magnifiques des coraux : du rouge, du rose… Aujourd’hui, ils sont tout blancs, en train de mourir. Là, je viens de jouer dans un petit film. C’est une fiction : un coquillage qui porte malheur et qui passe de main en main arrive aux Etats-Unis et coupe l’électricité dans le pays : du coup, tout le monde se remet au vélo ! C’est une façon de raconter ce qui nous arrive aussi, ce qui nous menace.»
Toani Benson 35 ans, Kiribati
«Les Kiribati, c’est 32 îles et atolls. Moi, je suis manager dans une entreprise qui fabrique des meubles. Si tu te mets dans la tête d’un père ou d’une mère, tu es obsédé par une chose : comment tes enfants vont-ils vivre dans les prochaines années ? Aujourd’hui, l’eau des nappes phréatiques est salée. On doit donc récupérer l’eau de pluie, mais il ne pleut plus ! Que va-t-on boire ? Et comment maintenir une agriculture ? Tout est connecté. Pour moi, la solution, ce sont les énergies renouvelables. Aux Kiribati, plus de 50 % de notre électricité vient du solaire. On vise le 100 %, mais on est obligés d’y aller petit à petit, parce qu’on a peu de moyens. Mais ça nous permet de montrer aux grandes puissances que si nous, on est capables de le faire, pourquoi eux ne font rien ?»
Siliveseteli Tu’akalau Loloa 25 ans, Tonga
«Les Tonga, c’est trois archipels, 650 îles. L’érosion côtière a déjà mangé jusqu’à 40 mètres de terres. J’ai grandi dans une famille de planteurs d’arbres à pain. Ils dégagent l’oxygène dont on a besoin pour respirer et absorbent le CO2 que nous émettons. Sauf que depuis un certain temps, la taille des fruits diminue… Pourquoi les pays riches n’en font pas davantage pour nous sauver ? On n’existe plus ? Ils ne veulent pas sacrifier un peu de leur mode de vie pour que l’on puisse avoir un futur ? On se battra, avec ou sans eux. Plus que jamais, on bloquera les ports qui exportent du charbon. On replantera des mangroves dans les lagons. On survivra.»