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Libération
Décryptage

Aux Maldives, le Président échappe à l'explosion de sa vedette

Cet incident, qui n'a pas fait de victime, intervient dans un contexte politique très agité, et après des menaces présumées de l'Etat islamique contre Abdulla Yameen Abdul Gayoom.
Le 28 septembre, après l'attentat à bord de la vedette transportant le président Abdulla Yameen Abdul Gayoom, à Malé. (Photo Reuters)
publié le 28 septembre 2015 à 13h45

Le président des Maldives, qui revenait de son pèlerinage à La Mecque, Abdulla Yameen Abdul Gayoom, a échappé à une explosion, ce lundi matin, survenue sur la vedette qui le ramenait de l’aéroport à la capitale. Sa femme et un garde du corps ont été légèrement blessés. La cause de l’explosion est encore inconnue, mais l’hypothèse d’un attentat est envisagée, le petit archipel de l’océan Indien étant sujet depuis des mois à de sérieux troubles politiques et sociaux. Les autorités maldiviennes ont demandé l’aide du FBI et de la police fédérale australienne dans l’enquête.

Quelle est la situation politique aux Maldives ? 

En 2008, après trente ans de dictature, les Maldives avaient fait un bond en avant dans la démocratie. Après l’adoption d’une nouvelle Constitution et au terme du premier scrutin démocratique depuis l’indépendance en 1965, cette république islamique basée sur la charia avait choisi comme président Mohamed Nasheed, militant engagé dans la lutte pour les droits de l’homme et l’écologie. Quatre ans après, ce dernier était contraint à la démission par un coup de force de la police et de l’armée, et vite remplacé par Yameen Gayoom, demi-frère de l’ancien dictateur, à la faveur d’élections controversées – le premier tour avait notamment été annulé après avoir été remporté par l’opposition. Arrivé au pouvoir, il a rétabli la peine de mort, suspendue depuis soixante ans, et abaissé l’âge de la responsabilité criminelle à 10 ans, et même à 7 ans pour la consommation de drogue et d’alcool.

Quel est l’état de l’opposition ? 

Dans ce petit pays d'environ 350 000 habitants, l'opposition est férocement réprimée. Le 22 février, l'ancien Président Mohamed Nasheed a été arrêté en pleine rue et condamné à treize ans de prison pour «terrorisme» après un procès express. La rapporteure spéciale de l'ONU Gabriela Knaul, qui avait mené en 2013 une enquête sur les dysfonctionnements du système judiciaire maldivien, déclarait alors à Libération : «La condamnation de Mohamed Nasheed est une insulte à la Constitution des Maldives. La façon dont s'est déroulé le procès tend à montrer que le verdict était prédéterminé. Cette violation des principes élémentaires du droit est inacceptable dans une société démocratique.» Après avoir été placé en résidence surveillée, Nasheed a de nouveau été emprisonné fin août, malgré les protestations de la communauté internationale et de sa médiatique avocate, Amal Clooney. Le président Yameen Gayoom, qui de son côté a embauché pour sa défense le cabinet de Cherie Blair, fait également le ménage au sein de ses alliés, en vue des prochaines élections en 2018 : son propre ministre de la Défense a été condamné à onze ans de prison après qu'un pistolet 9 mm, trois balles, un engin explosif et «des documents compromettants» ont été trouvés chez lui par les forces spéciales.

En plus de manifestations régulières d’opposants, le gouvernement doit aussi faire face au mécontentement des dizaines de milliers d’immigrés employés dans les hôtels de luxe, cibles de brimades et de discriminations.

Un attentat est-il plausible ? 

Même si le président Yameen Gayoom est plutôt mal aimé (une manifestation antigouvernementale avait réuni, en mai, un cinquième des habitants), l'opposition reste jusqu'ici dans les clous de la démocratie, et aucun attentat n'a eu lieu sur l'archipel depuis des années. En revanche, l'Etat islamique pourrait être entré dans le jeu. Le 30 août, dans une vidéo postée sur YouTube, trois hommes cagoulés et armés, avec le logo de l'Etat islamique, menaçaient de tuer le Président et son vice-président sous les trente jours et de s'attaquer à l'industrie hôtelière de luxe si la loi antiterroriste votée en juillet n'était pas retirée – le délai expirait justement ce lundi. L'influence de Daech dans l'archipel est importante. La petite république islamique serait, en proportion, le plus gros fournisseur de combattants en Syrie et en Irak, avec plusieurs centaines de jihadistes. En 2014, des partisans de l'Etat islamique ont même manifesté dans la capitale, sous le drapeau noir et blanc.

Quelle est l’influence islamiste ? 

Alors que les islamistes critiquent de plus en plus les mœurs occidentales en vigueur dans les îles-hôtels – l'alcool et le bikini sont interdits dans le reste du pays – le gouvernement a encore accentué sa répression des libertés fondamentales. Les autorités ont déclaré que toute littérature ou poésie publiée dans l'archipel devrait désormais passer par la censure islamique. Amnesty International déplorait déjà en 2013 les peines de flagellation pour les femmes, et les agressions de journalistes et d'intellectuels. En 2012, un député qui défendait le droit d'avoir des opinions religieuses différentes au sein de l'islam avait été poignardé à mort. La liberté de la presse souffre aussi. Ahmed Rilwan, jeune blogueur du site d'information indépendant Minivan News (dont les serveurs sont basés à l'étranger), qui écrivait sur la religion, l'environnement et la politique, a disparu depuis plus d'un an. Il se disait, comme la majorité des journalistes du pays, l'objet de menaces régulières.