Isolé depuis plus d’un an à cause de la crise ukrainienne, enfermé dans un étau de sanctions politiques et économiques, boudé par les leaders occidentaux, Vladimir Poutine revient en force : à New York, il s’entretient avec le président Barack Obama, qui l’évitait un peu ces derniers temps, tout en échappant aux questions trop désagréables sur l’Ukraine, puisque ce n’est plus la question. C’est le conflit syrien qui est à l’ordre du jour, et le président russe en est désormais une pièce pivot.
Poutine était d’autant plus attendu à l’Assemblée générale de l’ONU que la Russie a réussi à se replacer au cœur de l’échiquier syrien en quelques semaines à peine, en renforçant ostensiblement sa présence militaire en Syrie. En envoyant hommes et matériel pour soutenir le régime de Bachar al-Assad, la Russie, dont on continue de s’interroger sur les véritables objectifs à long terme dans la région, a clairement revendiqué une place centrale dans la résolution du conflit syrien, et rappelé qu’elle comptait bien rester un acteur incontournable de tout dossier international. Samedi, Moscou confirmait la création à Bagdad d’un «centre de coordination» pour lutter contre l’Etat islamique, regroupant la Russie, l’Iran, l’Irak et la Syrie.
Poutine a aussi proposé au Conseil de sécurité une résolution soutenant une «large coalition antiterroriste» contre l'EI, semblable à «celle contre Hitler» lors de la Seconde Guerre mondiale», a-t-il lancé à la tribune de l'Assemblé générale de l'ONU lundi.
Prise de court par l'offensive diplomatique russe, la Maison Blanche affirme qu'il serait «irresponsable» de ne pas tenter la carte du dialogue avec le chef du Kremlin, et revendique avec ce dernier une approche pragmatique, au cas par cas. La Russie est bien devenue incontournable, mais c'est notamment parce qu'elle est parvenue à compliquer la situation, note le quotidien Vedomosti. Le déploiement accru d'armes et d'hommes dans les zones contrôlées par l'armée syrienne nécessite une plus grande coordination entre ceux qui combattent l'Etat islamique.
Dans le même temps, le rôle que peut jouer Moscou aussi bien dans la lutte contre l'EI que dans la résolution du conflit syrien reste incertain, et rien ne permet d'affirmer que la Russie ait une vision plus précise que les Occidentaux sur le sujet, notent les experts. Mais Poutine semble avoir réussi au moins un tour de force : faire fléchir les chancelleries occidentales au sujet d'Al-Assad, qui commence à apparaître comme un moindre mal. S'il parvient à imposer son plan de coalition élargie en renforçant Al-Assad au passage, c'est-à-dire «faire céder Washington», Poutine remportera l'une de ces victoires qui remplissent d'orgueil les Russes. Toutefois, et même si le taux de soutien de la politique du Kremlin en Syrie est calqué sur la cote de popularité de son chef, on continue de craindre en Russie qu'un engagement autre qu'«humanitaire» n'ouvre la voie à un deuxième Afghanistan.