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Libération
«Libé» des géographes

Abbas, l’Autorité en berne

Si son drapeau a été hissé pour la première fois à New York, le président palestinien reste peu audible et la création d’un Etat indépendant est passée au second plan des inquiétudes internationales.
Mahmoud Abbas après son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, mercredi. (Photo Jewel Samad.AFP)
par Nissim Behar et Philippe Rekacewicz, géographe
publié le 30 septembre 2015 à 20h06

Journée historique à l'ONU. Soixante-huit ans après le vote par l'Assemblée générale de la résolution 181 prévoyant le partage de la Palestine en deux Etats indépendants, le drapeau palestinien a été hissé mercredi pour la première fois au siège de l'organisation internationale, dans le jardin des roses, en présence de son secrétaire général, Ban Ki-moon, de Mahmoud Abbas, ainsi que de nombreuses personnalités internationales. Interviewé par le Huffington Post peu avant cet événement, le président palestinien a appelé la communauté internationale à saisir ce «moment d'espoir» pour mettre fin à l'occupation israélienne. Il a également estimé que le moment est venu «d'achever le processus d'indépendance de l'Etat palestinien et de résoudre pacifiquement le conflit avec Israël». Pour l'occasion, le Fatah, son parti, avait en tout cas proclamé une «Journée du drapeau» sur l'ensemble des territoires palestiniens. Mais surtout en Cisjordanie, puisque le pouvoir palestinien ne contrôle pas la bande de Gaza.

A Ramallah et dans quelques autres villes, le discours prononcé par le président à la tribune des Nations unies et la cérémonie du drapeau ont été retransmis en direct sur des écrans géants. Le public : beaucoup d'obligés rameutés pour la circonstance et des cadres du Fatah. Ceux qui n'étaient pas dans la rue ont pu suivre l'événement grâce aux vingt heures de programme spécial concocté par la télévision officielle de l'Autorité palestinienne. Quelques reportages et beaucoup de débats au cours desquels les termes «indépendance» et «fierté» sont revenus souvent.

Sur le terrain, des groupes de jeunes Palestiniens ont célébré la Journée du drapeau en attaquant à coups de pierres des voitures transportant des colons en Cisjordanie, ainsi que quelques barrages israéliens. Mais aussi spectaculaires soient-ils, ces incidents n’ont pas dépassé en gravité ceux de ces derniers jours. A Jérusalem, une jeune fille a également été légèrement blessée par un petit engin explosif lancé à proximité du mur des Lamentations. Plusieurs lanceurs de pierres - pour la plupart mineurs - ont été arrêtés.

Dans ce contexte tendu, Ramallah bruissait il y a une semaine à peine des rumeurs les plus folles à propos du discours d'Abbas à l'ONU. A la Moukhata, le siège de l'Autorité palestinienne, l'entourage du Président promettait qu'il «lâcherait une bombe». Que cette fois serait la bonne et qu'il prononcerait la fin des accords de paix d'Oslo. D'autres spéculaient sur l'annonce du démantèlement de l'Autorité palestinienne, ce qui aurait fait retomber toute la charge économique et sociale de l'occupation directement sur les épaules israéliennes. Mais ces menaces ont rapidement été oubliées car, depuis, le leader de l'Autorité a eu l'occasion de s'entretenir avec de nombreux responsables occidentaux (dont François Hollande). Et ceux-ci ont insisté pour qu'il ne franchisse pas la ligne rouge. Surtout pas en cette période où le Proche-Orient tel qu'il avait été dessiné par les accords Sykes-Picot (1916) est en pleine désagrégation. «Un coup d'éclat d'Abbas aurait ajouté du désordre au chaos. Personne n'a besoin de cela pour le moment», affirme un diplomate européen qui a rencontré le président palestinien il y a une dizaine de jours. «Qu'Abbas défende sa cause mais qu'il ne crée surtout pas un problème supplémentaire, tel est le message que nous lui avons tous fait passer», insiste-t-il.

Redorer son blason

Discrédité au sein d'une opinion palestinienne qui lui reproche, entre autres, de poursuivre la coopération sécuritaire avec Israël alors que Benyamin Nétanyahou développe la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est (la partie arabe de la ville), le Président ne sait pas comment s'y prendre pour redorer son blason. Remettre la question palestinienne au premier plan des préoccupations l'aiderait beaucoup, mais la communauté internationale a des inquiétudes plus urgentes. «On n'intéresse plus parce qu'on n'a pas autant de morts à montrer qu'en Syrie», lâche cyniquement l'un de ses anciens conseillers, qui se déclare «choqué que Barack Obama ait délibérément ignoré le dossier israélo-palestinien lors de son allocution devant l'Assemblée générale».

«A 80 ans, le leader de l'Autorité palestinienne est fatigué. Il dit qu'il ne restera plus en place très longtemps. Le temps presse et il voudrait bien inscrire quelque chose d'important à son palmarès avant de quitter la scène, estime le spécialiste des questions palestiniennes Avi Issaharof. Bien sûr, ces derniers mois, il a obtenu le statut d'observateur à l'ONU pour l'Etat de Palestine, qui a également adhéré à la Cour pénale internationale. Mais pour la rue palestinienne, tout cela est un peu abstrait et, en fin de compte, qu'est-ce que ça change à sa vie quotidienne ?»

«Sa juste place»

A Jérusalem, les dirigeants israéliens se réjouissent de voir Abbas s'arracher les cheveux. Ils proclament d'ailleurs que ce qu'il dit à l'ONU «n'a pas grande importance» à leurs yeux. «On le connaît, il nous refait le même numéro chaque année en septembre : parce qu'il va parler à l'ONU, son entourage nous menace d'une nouvelle intifada. Vous croyez vraiment qu'on tombe dans le piège ?» lâche le vice-ministre des Affaires étrangères, Zeev Elkin, un faucon du Likoud. En tout cas, Israël ne cache pas son plaisir de voir que la question palestinienne n'est plus la préoccupation centrale de l'Assemblée générale de l'ONU. «Elle a enfin trouvé sa juste place», se félicite Ron Prosor, ambassadeur sortant de l'Etat hébreu auprès de l'organisation internationale. «Quand on voit les atrocités qui se déroulent en Syrie, la cruauté de Bachar al-Assad et les massacres perpétrés par Daech [Etat islamique, ndlr]. Quand on prend la mesure du danger représenté par l'Iran et par ses hommes de main du Hezbollah, il est normal de ne pas se focaliser sur ce qui se passe en Cisjordanie», ajoute-t-il. Benyamin Nétanyahou répondra ce jeudi au discours du président palestinien mais, à en croire ses conseillers, la plus grande partie de son allocution sera consacrée au «danger du nucléaire iranien», à la Syrie et à l'Etat islamique. Les Palestiniens passeront après.

Séparation

Pendant les discussions sur le statut de Jérusalem au début des années 2000, l'un des négociateurs palestiniens nous confiait son désarroi face à l'imbroglio territorial que les Israéliens leur proposaient : «Si nous signons un accord sur ces bases, il faudra à l'avenir équiper les chaussures de tous les Palestiniens de petites lumières rouges. Elles s'allumeront aussitôt qu'ils entreront par mégarde en zone C (sous contrôle israélien) et s'éteindront lorsqu'ils reviendront en zone A ou B (sous contrôle palestinien ou mixte).» Maintenant, en ville, il y a le mur. Un mur de béton, immense, de 8 à 10 mètres de haut qui déchire le paysage aux marges de la ville, pénètre au cœur de la cité, fracture l'espace urbain et surtout l'espace social palestinien. La frontière légitime, la Ligne verte, reconnue internationalement, est niée sur le terrain comme sur les cartes israéliennes. Elle est invisible. Le mur, lui, est bien visible… Il a été déclaré illégal par la Cour internationale de justice en 2004. Bien qu'illégitime, avec ses check-points qui ressemblent à s'y méprendre à des postes de douane, il fait office de vraie frontière, laquelle est ancrée parfois très loin à l'intérieur du territoire palestinien toujours occupé. Comme l'explique cette ancienne responsable de l'ONG Bimkom, «les Israéliens ont construit ce mur pour limiter les risques d'attentats-suicides. Et statistiquement, ils ont eu raison, puisque les attaques se sont pratiquement arrêtées, sans toutefois être vraiment sûrs qu'il y ait une relation directe. Par contre, le mur (qui sépare plus souvent des Palestiniens d'autres Palestiniens) a brisé la vie quotidienne de millions d'individus coupés de leurs espaces de vie, de leurs hôpitaux, de leurs écoles, de leurs amis, et enfin, de leur famille».

«Énormes sacrifices»

«La Palestine, qui est un Etat observateur non membre des Nations unies, mérite d'être reconnue comme un Etat à part entière», a déclaré mercredi Mahmoud Abbas devant l'Assemblée générale de l'ONU, évoquant «les énormes sacrifices» consentis par les Palestiniens et leur «patience au cours de toutes ces années de souffrance et d'exil». La résolution autorisant le drapeau palestinien, adoptée le 10 septembre, avait recueilli 8 refus et 45 abstentions. Les Etats-Unis, Israël, le Canada et l'Australie s'y sont opposés. La France a voté pour, ainsi que la Russie et la Chine. Le Royaume-Uni et l'Allemagne se sont abstenus.