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Libération
Éditorial

Villes sans croissance, la seconde chance

par Daniel FLORENTIN, Doctorant à l’université Paris-Est et Flaminia PADDEU, Doctorante à l’université Paris-IV Panthéon-Sorbonne (1)
publié le 30 septembre 2015 à 19h16

Un feu tricolore cassé, une Poste fermée, les vitres ébréchées d’un commerce vacant. L’imaginaire collectif associé à certaines villes qui ont connu et connaissent parfois encore une forme de déclin urbain est peuplé d’images de ce type. On y accole des noms qui font parfois (injustement) peur : Detroit, Leipzig, Saint-Etienne, Osaka. Ces villes ont longtemps représenté le cauchemar des urbanistes : des villes sans croissance. Ce déclin est réel et déstabilise des réflexes bien ancrés chez les responsables publics, visant la croissance comme seul horizon. Après avoir connu le siècle de la croissance urbaine «galopante», des «monstruopoles» et des «villes-champignons», nous n’avons pas été préparés à la décroissance urbaine. Dans certaines villes, la croissance est morte ? Vive la décroissance urbaine !

Le terme devient de moins en moins tabou et perd peu à peu sa teneur négative. Récemment, l'Union sociale de l'habitat, qui rassemble l'ensemble des bailleurs sociaux français, organisait même une conférence au titre évocateur : «Territoires en décroissance : quels projets ? Quelles réponses des HLM ?» Dans les couloirs, on entendait certains responsables s'animer : «Pour une fois, on n'entend pas toujours les mêmes.» Certains élus, certains collectifs citoyens se saisissent du terme, avec un rêve en commun, difficile à faire avancer : imaginer une nouvelle forme d'urbanité. Ce n'est d'ailleurs pas qu'un rêve, mais une pratique qui se développe, non sans opposition, pour mettre en place progressivement de nouveaux usages de la ville, de nouveaux modes de vivre ensemble, et de nouvelles façons de fabriquer l'urbain.

Aux Etats-Unis, cela peut se traduire par un réinvestissement citoyen. Le foncier libéré, bien rare dans les villes contemporaines, crée des opportunités pour de nouveaux usages pour rendre la ville plus «écologique» en créant des parcs, en favorisant l'agriculture urbaine, en permettant l'installation de coulées vertes et de corridors fauniques. En parallèle se développent de nouveaux outils de planification urbaine, qui cherchent à prendre acte de ces changements urbains et à repenser un urbain sans croissance, qu'on appelle du petit nom de smart shrinking.

En France, certains acteurs locaux, inspirés notamment par des expériences menées en Allemagne (à Leipzig notamment), changent leurs pratiques pour développer un rapport plus proche à leurs habitants en leur offrant un certain nombre de services, souvent gratuits, et dont le principe est d’améliorer les conditions de vie. Un mantra les guide : «Le logement vacant, voilà l’ennemi !»

La décroissance urbaine, c’est d’abord un passage obligé pour certaines communes, avec ses moments douloureux et ses traumatismes sociaux. C’est peut-être aussi une opportunité pour repenser notre urbanisme, pour accorder plus de place aux questions des conditions de vie, pour rechercher une forme de développement au sens fort du terme, porteuse d’un projet social et urbain, et plus seulement une course effrénée après l’innovation. Cette décroissance urbaine reste encore largement à construire. Mais son premier chapitre a déjà commencé à s’écrire.

(1) pour la revue «Urbanités» (revue-urbanites.fr)