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Inondations : à quoi faisons-nous face ?

Changement climatique, bétonisation… Plusieurs facteurs ont aggravé les pluies spectaculaires qui viennent de frapper la France.
A car is stuck under a bridge during floods in Nice, southeastern France on October 03, 2015. AFP PHOTO / VALERY HACHE
publié le 5 octobre 2015 à 21h26

Les violentes intempéries qui ont ravagé la Côte d’Azur samedi et provoqué la mort d’au moins 20 personnes posent de nombreuses questions.

Peut-on attribuer ce déluge au changement climatique ?

Non. Pour effectuer une telle attribution, il faudrait prouver qu’un tel épisode n’aurait pas eu lieu sans le changement de climat déjà observé depuis un demi-siècle en raison de nos émissions massives de gaz à effet de serre. C’est impossible car, malgré son caractère spectaculaire, il fait partie du «registre» climatique normal de la région : ces fameux épisodes méditerranéens (ou cévenols dans la région située au sud du Massif central) surviennent à l’automne et proviennent de la remontée vers le Nord d’un air chaud qui s’est chargé d’humidité sur la Méditerranée. Se heurtant à un air plus froid et aux reliefs des Alpes ou du Massif central, il peut alors provoquer des pluies diluviennes de courte durée - quelques heures à deux jours - dont la localisation précise ne peut se prévoir que quelques heures à l’avance.

Pour l'instant, note Météo France, les archives météorologiques ne montrent pas de tendance à l'augmentation ou à la diminution de la fréquence ou de la violence de ces épisodes. Pour l'avenir, les modèles climatiques ne sont pas encore capables de simuler correctement la formation de phénomènes aussi localisés. En revanche, les climatologues savent que la «capacité de l'atmosphère à retenir de l'eau augmente avec la température», souligne Pascal Yiou, du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, dans l'ouvrage tout juste paru Le temps s'est-il détraqué (1). Qui dit plus d'eau dans l'atmosphère signifie la possibilité d'épisodes pluvieux plus intenses pour la même situation météorologique qu'aujourd'hui. Dès 2011, une étude parue dans Nature,fondée sur l'analyse minutieuse d'une base de données du Hadley Centre sur plus de 6 000 stations météo de l'hémisphère Nord, montrait qu'une tendance à l'intensification des pluies diluviennes était déjà perceptible entre 1951 et 1999.

L’étalement urbain a-t-il accru la vulnérabilité ?

Sans doute. Artificialisation des sols et choix malencontreux en matière d'urbanisme - notamment la construction en zone inondable - ont rendu nos sociétés plus vulnérables aux risques climatiques. Les pluies de ce week-end «n'auraient pas provoqué les mêmes dégâts il y a une centaine d'années, sur la Côte d'Azur», souligne le climatologue Jean Jouzel, interrogé par l'AFP. Ces dernières décennies, le béton et le bitume ont gagné sur les espaces naturels. Entre 2006 et 2014, en France, près de 500 000 hectares ont été artificialisés au profit d'habitations, de zones commerciales, de parkings ou de routes, dont les deux tiers ont été gagnés sur des terres agricoles, indiquait en juillet le ministère de l'Agriculture. L'équivalent d'un département disparaît ainsi tous les sept ans. Les régions les plus touchées étant le Sud-Est (Bouches-du-Rhône, Var et Vaucluse), l'Ain et la Haute-Savoie (en raison de leur proximité avec Genève) et l'Ouest, avec l'étalement de Nantes, Rennes et Bordeaux.

Certes, les sols artificialisés ne représentent «que» 9,3 % du territoire national (5,1 millions d’hectares). Les sols agricoles en couvrent encore 51 % et les espaces naturels (bois, landes, friches, sols nus et zones humides) environ 40 %. Certes, depuis la crise de 2009, le ralentissement des grands chantiers d’habitat ou d’infrastructure calme un peu le rythme de l’artificialisation des sols (+1,1 % par an, contre +1,8 % entre 2006 et 2008).

Mais les conséquences en sont déjà visibles. Le plus souvent imperméabilisées, les terres artificialisées laissent dévaler les eaux de pluie et ne jouent plus leur rôle d'«éponge». Le cas des zones humides est particulièrement préoccupant. En France, les deux tiers de celles-ci ont disparu depuis le début du XXe siècle, «dont la moitié entre 1960 et 1990», rappelle Bruno Lamour, président du mouvement citoyen collectif Roosevelt, dans l'ouvrage Stop au dérèglement climatique (Editions de l'Atelier, 2015). Or «ces terrains inondés ou gorgés d'eau jouent un rôle majeur dans la régulation et l'épuration des sources d'eau, de même que dans l'atténuation et la prévention des crues». Protéger ces «zones tampons entre les sols et les plans d'eau», qui de surcroît absorbent le carbone, est donc «absolument nécessaire», insiste Lamour.

Quelles leçons tirer pour les risques futurs ?

Parmi les risques listés par les scientifiques, les événements extrêmes - pluies diluviennes, inondations, crues, épisodes de sécheresse, vagues de chaleur, cyclones - sont souvent agités car ils «parlent» au grand public plus que les courbes, les moyennes et les statistiques. Pourtant, certains de ces extrêmes font encore partie des sujets les plus controversés des recherches climatologiques. Les spécialistes n'ont guère de doutes sur la survenue plus fréquente des vagues de chaleur et des canicules, qui peuvent être dévastatrices pour la santé humaine, la production agricole et les incendies de forêt (à l'exemple de 2003 en France ou 2010 en Russie). En revanche, pour les cyclones - les phénomènes météo les plus violents -, les inondations, les crues… les simulations numériques sont souvent contradictoires. Toutefois, le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) soulignait dès 2007 que «la capacité de l'atmosphère à retenir l'eau augmente de 7 % pour chaque degré Celsius supplémentaire», selon la loi de Clausius-Clapeyron. Océans plus chauds, évaporation plus intense, atmosphère plus chaude… La quantité de vapeur d'eau a augmenté de 5 % au-dessus des mers depuis le début du XXe siècle, notent les climatologues. Plus il y aura d'énergie dans le système climatique, plus son potentiel de violence va croître. Mais l'épisode de ce week-end montre surtout que le risque proviendra de l'exposition grandissante des populations à ces événements extrêmes. Avec la hausse du niveau marin, la population exposée au risque de submersion lors d'une tempête va augmenter. Avec l'urbanisation galopante en Asie et en Afrique, des centaines de millions de personnes ont été concentrées dans des sites souvent menacés par les crues. La densification de l'occupation des sols va entraver encore plus la pénétration de l'eau.

Se fier à la technologie ou écouter la nature ?

Canaux de déviation, digues, pompes, barrages, bassins… «On dispose de toute une batterie d'ouvrages pour se protéger contre les inondations, précise Rémy Tourment, ingénieur à l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea). Ces ouvrages peuvent être complémentaires, mais ils seront plus ou moins efficaces selon la situation : ils connaissent très vite des limites, surtout pour des événements extrêmes comme celui de ce week-end.» Les pouvoirs publics peuvent également encourager des méthodes plus naturelles. Rémy Tourment cite le «ralentissement dynamique» : retenir l'eau en amont pour mieux étaler la crue. Notamment via le concept de renaturalisation : «Par exemple, planter une forêt sur une partie du bassin-versant, ce qui permet à l'eau de ruisseler plus doucement. De manière générale, pour la protection contre les inondations, une forêt est plus favorable qu'une prairie, elle-même plus favorable qu'un parking…» Autre solution, les zones d'expansion de crue : en Suisse par exemple, on supprime ou abaisse certaines digues du Rhône pour que les crues s'écoulent plus doucement. Idem aux Pays-Bas, où plusieurs plaines ont été rendues à l'eau. On teste aussi l'élargissement du lit des rivières. «Le plus important, c'est de donner autant d'espace que possible aux cours d'eau», précise l'ingénieur. Plutôt que de lutter à coup d'ouvrages, ou de céder face à la nature, mieux vaut la comprendre pour lui laisser sa place. Comme les communes de Hazebrouck, Borre et Vieux-Berquin, dans le Nord qui, pour prévenir le risque d'inondation, rachètent des parcelles agricoles pour les rendre à leur état naturel de zones humides. «Il est préférable d'associer à des ouvrages de protection en dur une conception prenant en compte l'environnement au sens large, les processus d'inondation et d'érosion», conclut Rémy Tourment.

Comment mieux alerter les populations ?

Météo France avait sorti son carton orange plusieurs heures avant la survenue des pluies qui se sont abattues sur la région de Nice. Ce carton signifie : «Soyez très vigilant ; des phénomènes dangereux sont prévus ; tenez-vous au courant de l'évolution de la situation et suivez les conseils de sécurité émis par les pouvoirs publics.» Le système d'alerte destiné au grand public a été mis en place en 2001, à la suite des tempêtes de 1999. Il fonctionne avec quatre niveaux : vert, jaune, orange et rouge. L'alerte orange, explique Météo France, correspond à «un niveau de risque important. Elle permet de se préparer à traverser un événement météorologique particulier. Elle doit obliger à adopter un comportement adapté (mise à l'abri ou report d'une activité devenue dangereuse par exemple)». Les personnes qui sont sorties de chez elles pour s'occuper de leur voiture n'ont pas suivi ce conseil de prudence, puisqu'il est dangereux de se rendre, par exemple, dans un parking souterrain susceptible d'être inondé. «Les ouvrages - digues, barrages, etc - donnent une fausse impression de sécurité, reconnaît Carina Furusho, ingénieure hydrologue à l'Irstea. Les habitants ne sentent pas le risque, parce qu'ils n'ont plus la mémoire des crues. Ce qui peut expliquer qu'ils ne sont pas sensibilisés aux niveaux d'alertes.» Renforcer l'éducation aux comportements adaptés en cas de situation d'extrêmes météorologiques, rares par définition, reste un défi.

(1) «Le temps s’est-il détraqué ? Comprendre les catastrophes climatiques», Buchet Chastel, 120 pp., 12 €.