«L'opération des forces aériennes russes en Syrie continue. Comme le notent les experts, d'un point de vue climatique, le moment est très bien choisi», expliquait samedi Mme Météo, sur la chaîne de télévision publique Rossiya 24. Pour illustrer ses propos : des images satellite des frappes russes menées la semaine dernière sur le territoire syrien.
La présentatrice en profite d'ailleurs pour préciser que des stocks d'armement importants et un poste de commandement des terroristes ont été détruits. «Notons encore une fois que le moment choisi pour mener les opérations aériennes est idéal», répète comme un refrain la poupée blonde, gainée dans sa robe fourreau rouge. «Dans l'ensemble, le mois d'octobre est idéal pour survoler la Syrie», s'enthousiasme-t-elle, sur le ton d'un Jean-Pierre Pernaut qui livre son pronostic aux vacanciers.
En Syrie, le vent peut souffler jusqu'à 15 mètres par seconde. Il ne pleut qu'une fois tous les dix jours et les précipitations maximales peuvent être observées en général dans le nord, là où sont menées les opérations russes. «Mais cela ne peut pas entraver sérieusement les bombardements.» Ouf. Et pas de problème côté températures : «La chaleur devient critique à partir de 35 degrés. Mais de tels niveaux sont rarement atteints au mois d'octobre.»
Un bulletin météo à peine surprenant
Attention, néanmoins, car l'automne arrive : on verra de plus en plus de journées nuageuses, des tempêtes de sable, même. Mais rien d'insurmontable pour les bombardiers russes, car les nuages seront suffisamment haut pour que «les avions puissent plonger [en dessous] et mener efficacement le bombardement des cibles au sol». Il faut se dépêcher toutefois, prévient Mme Météo, car au mois de novembre le ciel deviendra plus bas, les conditions cesseront d'être «idéales» et les «sorties des avions risquent de devenir plus compliquées».
Dans le contexte médiatique russe, un tel bulletin météo est à peine surprenant. Depuis le début de la crise ukrainienne, en mars 2014 (annexion de la Crimée), les chaînes de télévision publiques sont devenues les bras armés du Kremlin pour soutenir, justifier, anticiper toutes ses actions et décisions. Jusqu'à la semaine dernière, le blockbuster de la guerre dans le Donbass occupait toutes les ondes. Mais presque du jour au lendemain, il a fallu changer le thème, détourner l'attention des téléspectateurs (environ 80% des Russes) vers la nouvelle grande cause nationale : la guerre contre l'Etat islamique. Et depuis une semaine, tous les talk-shows et journaux télévisés (et qui sait, bientôt peut-être, les émissions de cuisine ?) sont consacrés aux «opérations des forces armées russes en Syrie».
Cette nouvelle guerre est «légitime», martèlent les présentateurs et experts invités, car Vladimir Poutine est le seul à avoir reçu une demande écrite de Bachar al-Assad. Elle est «essentielle et nécessaire», car l'EI représente une menace directe pour la sécurité de la Russie. Le rôle de l'épouvantail, tenu pendant 18 mois par les «fascistes de Kiev», est passé aux terroristes. Le nombre de citoyens russes qui rejoignent les islamistes armés augmente «d'heure en heure», et si on ne les extermine pas sur place, ils reviendront tuer sur le territoire russe…
Les propagandistes doivent mettre les bouchées doubles pour convaincre le téléspectateur de la nécessité de s'embarquer dans une aventure qui, pour l'instant, pour le Russe ordinaire, fait surtout penser à l'Afghanistan. Mais, comme a insisté l'un des chantres du régime, Vladimir Soloviev, dans son émission hebdomadaire, mercredi dernier (premier jour des frappes russes) : «Ce n'est pas l'Afghanistan. Le président Poutine a dit que nous n'allons pas nous embourber». D'ailleurs, nous maîtrisons la situation. Puisque même les vents nous sont favorables.