C'était déjà un conflit effroyable où s'affrontaient trois camps : les rebelles houthis, soutenus par l'Iran ; la coalition gouvernementale, appuyée par l'Arabie Saoudite et ses alliés arabes et occidentaux ; et Al-Qaeda dans la Péninsule arabe (Aqpa), la branche la plus dangereuse de l'organisation jihadiste. Mais depuis peu, un nouveau venu a fait irruption sur la scène yéménite : l'Etat islamique (EI). On savait que l'organisation de Abou Bakr al-Baghdadi avait depuis un an des cellules disséminées dans certaines régions du Yémen, comme l'indiquait la multiplication des attentats contre les mosquées zaydites (un rameau du chiisme) de Sanaa. Mardi, en lançant ses premières attaques meurtrières d'envergure contre le gouvernement dit «légitime» et les troupes de la coalition anti-rebelles sous commandement saoudien, l'EI a montré qu'il était désormais un belligérant avec lequel ses trois adversaires devaient compter. Les jihadistes ont frappé aussi bien Sanaa, toujours contrôlé par la rébellion houthie, qu'Aden, l'ancienne capitale du Yémen du Sud, reprise en juillet par la coalition prosaoudienne. Après l'Irak et la Syrie, où ses drapeaux noirs frappés du sceau de Mahomet flottent respectivement sur un tiers et la moitié de ces deux pays, l'organisation jihadiste élargit encore son espace de conquête en prenant pied dans l'ancienne Arabia Felix («l'Arabie heureuse»). Les attaques de l'EI ont fait plus de vingt-cinq morts, dont quatre soldats des Emirats arabes unis à Aden.
Pour Riyad et ses alliés arabes du Golfe persique, l’arrivée d’un nouvel ennemi est une très mauvaise nouvelle. Alors qu’ils ne parviennent toujours pas à faire plier la rébellion houthie en dépit de bombardements massifs et d’un engagement au sol, l’arrivée de l’EI fracture un peu plus la communauté sunnite, que les Saoudiens prétendent rassembler. Avec l’Aqpa, moins jusqu’au-boutiste que son rival, une alliance de facto se vérifiait ici et au niveau des milices anti-houthis ; elle se faisait au nom de l’ennemi commun. Différence considérable : l’EI se pose ostensiblement en ennemi acharné des trois autres belligérants. Or, ce jeu de cavalier seul et même du seul contre tous, phénomène nouveau au Yémen, risque de séduire des populations de plus en plus désespérées et donc tentées par la radicalisation islamiste.
Qui se souvient encore que le Yémen du Sud était encore, jusqu’en 1990, un Etat communiste où les femmes avaient un code de statut personnel, pouvaient aller se baigner à la plage et où Aden était fière d’avoir la seule brasserie de la Péninsule arabique ?