Son nom siffle tels des coups de cravache. Heinz-Christian Strache est le chef des «bleus», comme on surnomme souvent les troupes de l'extrême droite en Autriche. Mais ce n'est pas un débutant en politique : éternel candidat à toutes les élections, cela fait onze ans qu'il ronge son frein dans l'opposition. Dimanche, il tente pour la troisième fois de conquérir la mairie de Vienne, bel écrin pour de grandes ambitions. Les sondages prédisent un score historique pour son parti, le FPÖ (Parti autrichien de la liberté).
Pourtant, en France, on connaît mal ce technicien dentaire de formation, resté dans l’ombre de la star défunte Jörg Haider, l’«illustre» prédécesseur. Il serait grand temps de s’intéresser à Heinz-Christian Strache. Il a donc 46 ans, deux enfants et, surprise, il n’est pas issu de ces vieilles familles qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avaient toujours trusté les meilleures places dans l’appareil du FPÖ. A Vienne, on dirait plutôt de Strache qu’il est même un «prolo». Son expression est fermement teintée de dialecte. Sur Facebook, il adore poster des photos d’Ibiza. Il met en ligne ses clips de rap bien torchés et a longtemps couru les boîtes de nuit au pied des pistes, où l’on joue de la musique typique des Alpes, en buvant schnaps sur schnaps.
Car Heinz-Christian Strache, c'est d'abord un physique, une apparence moderne. Des yeux azuréens, comme un marqueur identitaire. Un attrait pour la mode aussi. Milan plus que Paris. Il aime brouiller les pistes, se compare à Che Guevara. Il veut faire sa «révolution d'octobre» – le slogan de sa campagne cette année – et virer, comme un vulgaire bolcho, toute cette «fausse gauche» qui monopolise le pouvoir dans la capitale autrichienne depuis 1945. Car le vrai parti social, qu'on se le dise, c'est le sien. Alors que les élus du FPÖ au Parlement sont les plus diplômés de l'hémicycle et que les lois qu'ils souhaiteraient faire passer compliqueraient sûrement la vie quotidienne des plus pauvres, cela fait des années que Strache s'accapare méthodiquement l'héritage culturel de la social-démocratie et des chrétiens-sociaux antinazis. Noyés sous le marketing, on en oublierait presque qu'il représente toujours l'extrême droite la plus radicale d'Europe.
«Faire accepter par des chemins détournés l’idéologie nationale-socialiste»
Car même totalement relooké, le FPÖ reste le même. Bien sûr, on a coupé le micro à la vieille garde incontrôlable, dont les dérapages répétés menaçaient l'ascension du parti. Mais, même âgés de trente ans de moins, les cadres les plus influents restent aujourd'hui issus du courant national-allemand, idéologiquement ultra-minoritaire. Ils continuent d'être recrutés dans les cercles universitaires masculins très fermés, des corporations pangermanistes aux codes rigides qui, de génération en génération, selon un rapport officiel du ministère autrichien de l'Intérieur, ont la volonté «de faire accepter par des chemins détournés l'idéologie nationale-socialiste». Jusqu'en 2004 au moins, Heinz-Christian Strache a lui-même manié l'épée pour défendre son honneur, dans des duels martiaux. Car on ne tue pas le père au FPÖ. On s'inscrit dans ses pas.
Sur des vieux clichés datant de 1987, Heinz-Christian Strache a les trois doigts de la main droite levés. On jurerait qu'il effectue un signe interdit de reconnaissance qui fit longtemps fureur dans les rangs des crânes rasés. Le président du premier parti d'Autriche, un ancien néonazi, au pays d'Adolf Hitler en plus ? L'intéressé a toujours nié et a depuis clairement dénoncé l'idéologie du IIIe Reich, qui ne lui inspirerait «qu'aversion».
Aujourd'hui, de toute façon, il est plus casanier. C'est même une vraie grenouille de bénitier. Contre une troisième tentative «d'invasion islamique», il se voit comme le défenseur de l'Occident chrétien et des églises de Vienne. Lors de ses meetings, l'immigration musulmane occupe une place disproportionnée. Il la soupçonne de couver «parmi nous» les jihadistes, «telle une bombe à retardement». A cause des Turcs, en particulier, se développeraient des «sociétés parallèles», sous la protection d'ailleurs fielleuse de la gauche et des Verts, les partis au pouvoir dans la capitale, qui refusent d'interdire la distribution du Coran dans la rue.
Eviter un dérapage malencontreux
Le discours est rodé. Comme Marine Le Pen qui semble dépendante intellectuellement de Florian Philippot, Strache, orateur assez médiocre, stratège de Monopoly, a lui aussi son éminence grise. Il s’agit d’un bonhomme à lunettes nommé Herbert Kickl. A cette plume exceptionnelle, Haider devait déjà une bonne partie de son ascension. Et si le FPÖ s’est relevé des affaires abyssales de corruption qui ont ruiné la Carinthie, région du sud sauvage, gouvernée par l’extrême droite durant treize ans, c’est aussi grâce à lui. Kickl le discret sait flairer l’air du temps. Il a un sens aigu de la communication de masse. Avec lui, Strache est sur des rails. Lorsqu’il s’agit d’aller donner une interview, Herbert est toujours là. Il ne faudrait pas qu’un dérapage malencontreux ruine les années d’un travail efficace de conquête du pouvoir. Tant qu’il veille sur son protégé, Heinz-Christian Strache a toutes ses chances de devenir le prochain chef du gouvernement autrichien.
Il formerait alors un duo du tonnerre avec son voisin, le hongrois Viktor Orbán. Deux épouvantails dans les plaines danubiennes. D’autant plus qu’au sein des rangs populistes autrichiens, où l’on cultive la division comme un art, la concurrence du moribond BZÖ de Haider semble définitivement écartée. Tout comme celle du magnat austro-canadien Frank Stronach : sa formation ne pèse plus rien. Un boulevard miraculeux, d’ici à 2018, pour pénétrer avec l’aide du Seigneur les palais impériaux de Vienne en cas de législatives anticipées. Strache chancelier ? Si l’Autriche le veut, l’Europe n’aura qu’à bien se tenir.