Partout en Europe, à Paris comme à Genève ou Berlin, des milliers de manifestants kurdes ont défilé samedi et dimanche pour dénoncer la «politique de guerre» du régime turc après le double attentat d'Ankara. Ils étaient un millier samedi dans la capitale française et encore plus nombreux dimanche - 3 000 selon la préfecture de police - sous le mot d'ordre «Non à la politique de guerre et de terreur de l'Etat turc». «On vient démontrer notre solidarité avec les peuples qui souffrent en Turquie et au Moyen-Orient. C'est un attentat contre les forces progressistes, contre la paix, contre ceux qui veulent faire de la Turquie et du Moyen-Orient une région stable», a déclaré Yekbun Eksen, du Conseil démocratique kurde.
Bombardements. La question kurde est en effet au cœur de ce carnage sans précédent dans l'histoire de la République turque, alors que le gouvernement de l'AKP a relancé en juillet le conflit avec la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Samedi, quelques heures après la double attaque-suicide, les rebelles du PKK, qui ont multiplié depuis près de trois mois les attaques contre les forces de sécurité turques, ont annoncé la suspension de leurs opérations à trois semaines des élections législatives du 1er novembre. «Tenant compte des appels venus de Turquie et de l'étranger, notre mouvement a décrété une période d'inactivité pour nos forces de guérilla, sauf si nos militants et nos forces de guérilla étaient attaqués», a écrit l'Union des communautés du Kurdistan (KCK), l'organisation qui chapeaute les mouvements rebelles kurdes tout en dénonçant un peu plus tard «le complot sanglant de l'AKP». «Pendant cette période, nos forces de guérilla ne mèneront pas leurs activités prévues et n'engageront aucune autre activité hormis celles destinées à protéger leur situation actuelle et ne feront rien qui pourrait empêcher une élection honnête», a ajouté le KCK dans une déclaration publiée sur son site internet.
Depuis la fin juillet, le PKK a repris sa campagne d’attentats contre les forces de sécurité turques dans le Sud-Est à majorité kurde de la Turquie, tuant plus de 150 policiers et soldats. L’armée turque a de son côté multiplié les opérations de représailles contre les rebelles, notamment en bombardant ses bases arrière dans le nord de l’Irak. Ces violences ont mis un terme au processus de paix avec les rebelles engagé en 2012 par le gouvernement islamo-conservateur d’Ankara et sonné le glas d’un cessez-le-feu qui tenait depuis plus de deux ans.
Dans un entretien accordé mardi à l'AFP dans son repaire irakien, le chef du PKK Cemil Bayik avait annoncé une «initiative» destinée à aider le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) avant les législatives anticipées du 1er novembre. «Nous sommes prêts à cesser le feu dès maintenant, avait-il commenté. Il est nécessaire d'aider le HDP.»
Lors des législatives du 7 juin, le HDP avait remporté 13,6 % des suffrages et 80 sièges de députés, contribuant à faire perdre au parti du président Recep Tayyip Erdogan la majorité absolue qu'il détenait depuis treize ans. Le KCK précise de son côté que cette décision est prise pour «assurer la sécurité du vote et le bon déroulement des élections libres et équitables».
Sécession. Depuis la reprise des hostilités entre l'Etat et le PKK, les scènes de violence sont en effet quotidiennes dans l'est et le sud-est de la Turquie. Quelques petites villes proches des frontières irakiennes et syriennes ont quasiment fait sécession en prononçant leur «autonomie démocratique» et des jeunes proches du PKK ont érigé des barricades. Les autorités ne semblent guère décidées à saisir l'offre des rebelles kurdes. L'aviation turque a encore, samedi et dimanche, bombardé les positions du PKK en Irak du nord, mais aussi dans le sud-est du pays. «Nous ne sommes pas dupes. Le PKK dans le passé a plusieurs fois décrété le cessez-le-feu. Mais ils restent encore des terroristes, des assassins. La seule voie c'est le désarmement complet de cette organisation séparatiste terroriste», a déclaré le vice-premier ministre Yalçin Akdogan.