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Dynastie

Pyongyang : le tout pour le Parti

Samedi, la Corée du Nord a commémoré les 70 ans du Parti des travailleurs, pilier central du régime des Kim. Un raout marqué par une tentative de rapprochement avec la Chine, allié devenu plus distant.
A Pyongyang, samedi 10 octobre. (Photo Wong Maye-E. AP)
publié le 11 octobre 2015 à 18h26

Pour les 70 ans de son Parti unique, la Corée du Nord a livré au monde l'un des plus importants défilés de son histoire. Et confirmé sa volonté de rapprochement avec la Chine. «Notre Parti proclame avec détermination que nos forces armées révolutionnaires sont capables de faire face à toute guerre provoquée par les Etats-Unis, et nous sommes prêts à protéger notre peuple et le ciel bleu de notre patrie.»

La dictature est devenue dynastie. Du haut de la tribune surplombant la place Kim Il-sung, du nom de son grand-père, le jeune leader Kim Jong-un, acclamé par des dizaines de milliers de personnes, a prononcé samedi son deuxième discours en public depuis qu'il a succédé à son père, Kim Jong-il, fin 2011. En début de journée, le ciel bleu n'était pas au rendez-vous pour le 70e anniversaire du Parti des travailleurs de Corée du Nord, la pluie matinale ayant même retardé les célébrations. Et puis le coup d'envoi a été donné. Impressionnants défilés au pas de l'oie, représentations géantes de la faucille et du marteau, nuées de drapeaux rouges et portraits des deux dirigeants défunts de la dynastie Kim : la mise en scène avait un air de déjà-vu, mais le spectacle était d'une envergure rarement égalée. Avec des milliers de soldats mobilisés et une parade de chars et de missiles à longue portée, l'événement se voulait également une démonstration de force, visant à impressionner la population nord-coréenne comme le monde extérieur. Quelque 150 journalistes étrangers avaient d'ailleurs exceptionnellement été invités pour célébrer ce «Parti invincible qui forme un tout avec le peuple», selon les mots de Kim Jong-un.

Contrôle et surveillance

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Kim Il-sung (le grand-père, donc), crée une filiale communiste dans le nord de la péninsule, zone alors contrôlée par les Soviétiques. Cet organe ne cessera de gagner en puissance dans ce qui deviendra, en 1948, la République populaire démocratique de Corée. «Le Parti a toujours été la première force du régime, même lorsque Kim Jong-il menait sa politique dite de l'armée avant tout», commente Cheong Seong-chang, spécialiste du régime nord-coréen à l'institut Sejong de Séoul. «Ce Parti est un super-gouvernement, qui tente de contrôler entièrement le pays. Ses principes fondateurs sont le nationalisme, le militarisme, le communisme, l'autoritarisme, le purisme culturel et l'anti-impérialisme, raconte Sokeel Park, de l'ONG Liberty in North Korea. Ce qui est incroyable, quand on y pense, c'est qu'il n'ait pas changé en soixante-dix ans. En 1945, aux prémices de la guerre froide, ces idéologies étaient courantes. Mais aujourd'hui, elles semblent complètement anachroniques. C'est l'une des raisons pour lesquelles la Corée du Nord est si opaque pour le reste du monde : elle n'a pas bougé d'un pouce tandis que le reste du monde a énormément évolué.»

Si le régime et son Parti unique se sont ainsi maintenus sur trois générations, c'est qu'ils règnent d'une main de fer. La semaine dernière, Human Rights Watch accusait une nouvelle fois les autorités nord-coréennes d'avoir recours au travail forcé. Pour préparer la grandiose cérémonie de samedi, la population aurait d'ailleurs été réquisitionnée depuis des semaines. «Les habitants sont largement sollicités pour ce genre de célébrations. Les autorités leur demandent de faire des dons pour financer l'événement, afin de prouver leur dévotion au Parti. Les contrôles et la surveillance sont par ailleurs renforcés, témoigne Jang Jin-sung, un ancien membre haut placé du Parti qui a fui le régime en 2004. Pour mes collègues et moi, en revanche, les fêtes nationales étaient l'occasion de recevoir des cadeaux, souvent des produits importés. C'était une manière d'acheter notre loyauté. Les récompenses et autres promotions étaient souvent distribuées à ce moment-là.» Conscient que le régime ne pourra se maintenir qu'en conservant la confiance populaire, Kim Jong-un n'a pas manqué de féliciter ses soldats ainsi que la population tout entière, «source du miracle» qui a fait de son pays un «puissant Etat socialiste, indépendant et autonome en matière de défense».

Essai nucléaire

Mais de ce discours d'une trentaine de minutes, on retiendra surtout… le figurant au côté de la vedette. Kim Jong-un avait en effet convié un invité de marque à sa fête : le Chinois Liu Yunshan, membre du comité permanent du bureau politique du Parti communiste, soit l'un des personnages les plus influents à Pékin. En lui réservant une place de choix pendant toute la cérémonie, le leader nord-coréen a envoyé un message fort : il entend sortir de l'isolement en renouant avec celui qui est, de facto, son unique allié de taille. En marge des célébrations, Kim Jong-un et Liu Yunshan se seraient engagés à resserrer leurs liens. Le premier aurait assuré être prêt à faire des efforts pour améliorer les relations sur la péninsule coréenne, tandis que le deuxième se serait prononcé en faveur de la reprise des négociations à six sur le nucléaire nord-coréen. Le président Xi Jinping lui-même a fait passer ses amitiés au leader nord-coréen, via une lettre relayée par les médias officiels chinois. Il y félicite le parti nord-coréen pour avoir «réalisé l'indépendance nationale et la libération du peuple» et même «développé l'économie et amélioré les conditions de vie de la population». Ces courbettes signent un changement de ton radical de la part de la Chine, qui a montré des signes d'agacement envers son petit protégé ces dernières années. En 2013, les relations entre les deux voisins avaient largement été entachées par le troisième essai nucléaire nord-coréen puis par l'exécution de Jang Song-thaek, oncle de Kim Jong-un et numéro 2 du régime. En charge des relations économiques avec la Chine, il avait été jugé trop favorable à une évolution du pays sur le modèle de l'Empire du milieu. «Après la visite de Xi Jinping à Séoul en juillet l'an dernier, les relations entre la Corée du Nord et la Chine s'étaient encore détériorées», note Cheong Seong-chang de l'institut Sejong.

Lune de miel

Ce rapprochement n'a pas échappé à Séoul, où plusieurs chaînes d'information ont retransmis en direct la cérémonie nord-coréenne. Il faut dire que la Corée du Sud est pour sa part en pleine lune de miel avec la Chine. Depuis son investiture en février 2013, la présidente, Park Geun-hye, a déjà rencontré son homologue chinois à six reprises, alors que Kim Jong-un n'a toujours pas serré la main de Xi Jinping. Le 3 septembre, lors du grand défilé militaire chinois célébrant les 70 ans de la résistance contre l'agression japonaise, Park a été accueillie en VIP tandis que Kim Jong-un était aux abonnés absents. La présence de la présidente sud-coréenne aux côtés de Xi et de Poutine avait fait polémique dans les médias sud-coréens. Pour certains, la Corée du Sud ne faisait que consolider ses liens avec son premier partenaire économique, tout en mettant de la distance avec son allié américain. D'autres y ont plutôt vu une stratégie géopolitique visant à déstabiliser «l'ennemi nord-coréen». «Derrière les efforts sans relâche de Mme Park vis-à-vis de la Chine, il y a la volonté d'isoler, voire de faire imploser la Corée du Nord», estime Robert E. Kelly, professeur en relations internationales à l'université de Busan (Corée du Sud).

Au nord du 38e parallèle, aucun acte de provocation n'a été relevé au cours du week-end. Craignant que le régime ne décide de montrer ses muscles pour célébrer l'anniversaire de son Parti, la communauté internationale surveillait de près l'activité au sein du «royaume ermite». Mi-septembre, Pyongyang avait en effet évoqué la possibilité d'un prochain lancement de satellite. Si le Nord assure que ses tirs de fusées visent à mettre en orbite des satellites d'observation, beaucoup y voient des tests de missiles balistiques déguisés. Les experts n'excluent pas un nouvel essai nucléaire ou le lancement d'un satellite d'ici à la fin de l'année.