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Libération
Récit

Attentat d'Ankara : deux jihadistes kurdes identifiés

La police turque a confirmé que les deux kamikazes qui ont fait 97 morts dans l'attaque de samedi étaient originaires d'Adiyaman, ville pauvre du Sud-Est devenue un bastion de l'islamisme radical.
A proximité de la gare d'Ankara, après l'explosion, samedi. (Photo Adem Altan. AFP)
publié le 14 octobre 2015 à 16h38

Les exécutants du double attentat-suicide de samedi à Ankara (au moins 97 morts) contre une manifestation de la gauche et du mouvement kurde ont été identifiés. Un responsable de la police a confirmé mercredi midi qu'il s'agirait de Yunus Emre Alagöz frère aîné d'Abdurrahman Alagöz, lui-même tenu pour responsable de l'attentat-suicide de Suruç, le 20 juillet, qui fit 35 morts dans une manifestation de la gauche et des Kurdes. L'autre kamikaze serait Omer Deniz Dündar. Tous sont originaires de la ville d'Adiyaman (Sud-Est), 290 000 habitants, bastion du jihadisme turc d'où plus de 200 jeunes sont partis combattre en Syrie. «Les deux kamikazes sont arrivés de Gaziantep à Ankara par deux voitures privées différentes. Ils étaient guidés par un certain Y.S. [dont l'identité n'a pas été dévoilée, ndlr] et tous trois ont fait une expédition dans le quartier de la gare d'Ankara. Y.S ainsi que la personne qui a loué les deux voitures à Gaziantep ont été arrêtés par la police», détaille le quotidien Hurriyet.

La police d'Ankara poursuit ses travaux pour identifier l'ensemble des corps des personnes tuées lors de la double explosion de samedi. Les experts ont échoué à identifier cinq corps presque complètement déchiquetés, mais les prélèvements ADN montrent sans aucun doute que deux d'entre eux appartiennent à Yunus Emre Alagöz et à Omer Deniz Dündar. Ces deux militants kurdes islamistes radicalisés avaient quitté la Turquie au début de cette année, et s'étaient formés à la lutte armée dans les camps de l'Etat islamique (EI) avant de rentrer clandestinement dans leur pays. Les responsables de la police se sont jusqu'ici refusés à dire s'ils étaient sur la liste des 21 kamikazes potentiels dressée par les services de renseignement turcs (MIT). «S'ils étaient dans cette liste, c'est très grave, et cela montre une carence majeure des autorités», a déclaré mardi Kemal Kiliçdaroglu, le président du CHP (Parti républicain du peuple, social-démocratie, principale formation de l'opposition qui compte 13 sièges au Parlement sur 550). Le ministre de l'İntérieur, Selami Altinok, a déclaré le dimanche devant les caméras qu'il ne «[démissionnerait] pas car il n'y avait ni carence de renseignements ni défaillance de sécurité». Mardi dans la soirée, le ministère a annoncé que le préfet de police et les directeurs du département de renseignements et de la sécurité avaient été limogés, «pour la bonne conduite des investigations en cours».

Mais si les exécutants sont connus, reste encore à savoir qui pourraient être les donneurs d’ordre et les organisateurs d’un carnage. L’EI ne l’a toujours pas revendiqué. Cela pourrait vouloir dire que ces jeunes jihadistes kurdes ont agi de leur propre initiative, s’acharnant contre la gauche turque et les nationalistes kurdes du HDP (Parti démocratique du peuple) qui sont de longue date la cible de l’islamisme kurde. Dans les années 90, le mouvement Hezbollah – rien à voir avec son homonyme chiite libanais – avait mené nombre d’assassinats avec la complicité active des services turcs. On pourrait imaginer que de telles manipulations existent à nouveau de la part de ce que les Turcs appellent «l’Etat profond», structures occultes où se retrouvent barbouzes mafieux et représentants de l’Etat. Mais il est aussi évident que Recep Tayyip Erdogan sort politiquement affaibli du carnage d’Ankara. D’où l’hypothèse que l’éventuelle manipulation des terroristes ait pu être le fait de l’Iran ou du régime d’Assad, contre lesquels Erdogan est engagé à fond. Ou même qu’il puisse s’agir de secteurs de l’Etat profond hostiles à l’homme fort d’Ankara. En tout cas les théories complotistes ne font que commencer. D’autant que, pour le moment, le pouvoir réaffirme toujours que l’attentat aurait pu être organisé conjointement par l’EI et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), la guérilla kurde, ce qui est totalement absurde.