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Libération
Reportage

En Israël, «les candidats à l'action violente sont prêts au martyr»

Le gouvernement a décidé de boucler les quartiers arabes de Jérusalem, ce qui ne découragera pas les agresseurs.
Au check-point de Jabel Moukhaber, ce mercredi. (Photo Ronen Zvulun. Reuters)
publié le 14 octobre 2015 à 13h49

Ça n’a pas traîné. Quelques heures après la réunion marathon (huit heures) du cabinet de la sécurité de l’Etat hébreu, Benyamin Nétanyahou et son ministre de la Défense, Moshe Yaalon, ont autorisé le déploiement de réservistes de Tsahal (armée) ainsi que de Magav (gardes-frontières) pour suppléer aux forces de police débordées ainsi que la mise en place d’un bouclage limité des quartiers arabes de Jérusalem, où résidaient la plupart des auteurs des attaques à l’arme blanche de ces derniers jours.

Le catalogue des mesures annoncées prévoit également l’accélération de la procédure permettant de faire exploser les maisons de supposés terroristes, la suppression de la carte d’identité israélienne de leurs proches ainsi que des avantages sociaux afférant, la possibilité de bannissement des complices présumés et des membres de la famille, etc.

Barrages à deux entrées

Dans cette liste, le bouclage des quartiers arabes de Jérusalem est la mesure la plus significative : elle réduit à néant les arguments de la droite et de l'extrême droite, prétendant que «la ville est unie» et que «tous ses habitants sont égaux devant la loi».

Dès mercredi matin, les gardes-frontières ont dressé des barrages à deux des trois entrées de Jabel Moukhaber et de Tzur Baher, des villages palestiniens conquis durant la guerre des Six Jours, en juin 1967, et annexés par l’Etat hébreu qui les a ensuite intégrés dans le «Grand Jérusalem». Dans d’autres quartiers tel Issawiyeh, les entrées et sorties se déroulaient normalement, mais des ouvriers municipaux ont été convoqués pour aider à l’installation de blocs de béton attendus dans la journée.

Jabel Moukhaber est particulièrement ciblé par les services de sécurité israéliens. Parce que les trois auteurs des attentats perpétrés mardi à Jérusalem-Ouest y résidaient, et parce que, depuis 2013, plusieurs de ses habitants ont été impliqués dans attentats sanglants. Entre autres, l’attaque de la synagogue de Har Nof pendant un office religieux, qui a fait sept morts dont les deux auteurs de la tuerie.

«Les Israéliens sont habitués à punir collectivement tous les Palestiniens pour les faits de quelques-uns», lâche Mahmoud Abou Mahmoud, un chauffeur d'autocar de Jabel Moukhaber employé par une entreprise de Jérusalem-Ouest. «Nétanyahou veut montrer ses muscles ? Ahlan wa sahlan ["bienvenue !" ndlr]. Ce n'est pas cela qui va calmer les candidats à l'action violente parce que ceux-là ont déjà fait le vide dans leur tête. Ils sont prêts au martyr et ce ne sont pas des blocs de béton qui les feront changer d'avis.»

«Quelle colonie ?»

Les contrôles au barrage de Jabel Moukhaber n’ont pas de quoi décourager un terroriste vraiment motivé. Debout à côté de sa Jeep blindée, un officier vérifie la carte d’identité des Palestiniens quittant le village et leur pose de vagues questions sur leur travail ou leur destination. Les personnes interrogées peuvent raconter ce qu’elles veulent, puisque personne ne vérifie.

«Cela va sans doute se durcir lorsque le dispositif aura été entièrement déployé et que les militaires auront remplacé les gardes-frontières, estime Abou Mahmoud, qui a lui aussi subi le petit interrogatoire. Et si nos jeunes se mettent à manifester comme ils savent le faire, je suis sûr que nous aurons droit à un bouclage complet comme celui de la Cisjordanie en 2002.»

Au pied de Jabel Moukhaber se trouve le «nouveau quartier juif» de Talpiot Misrah, un lotissement d'immeubles bon marché construits à partir de 1973 par le gouvernement travailliste de Golda Meir. Selon le droit international, Talpiot Misrah est une colonie, mais ses habitants, pour la plupart des familles à revenus modestes et des retraités, n'en ont pas conscience. «Quelle colonie ? lance Olga Shemtov, puéricultrice indépendante. Moi, j'habite à Jérusalem-capitale d'Israël. Point barre. Si les Arabes d'en face [de Jabel Moukhaber, ndlr] ne sont pas contents, qu'ils aillent mendier des allocs chez Mahmoud Abbas.»

Dans les ruelles piétonnes du lotissement, la plupart des personnes croisées disent «souffrir de la présence des Arabes». «On parle beaucoup de Jabel Moukhaber à cause des attentats de mardi, mais nous, voilà des années que l'on supporte les jets de pierres et de cocktails Molotov sans que personne n'y prête attention, lâche Anton Nudel, un retraité accompagné de sa garde-malade asiatique. A la place de Nétanyahou, je ne me contenterais pas de barrages. J'érigerais un mur entre nous et ces salopards. On pourrait ainsi vivre enfin tranquillement en admirant ce beau paysage.»