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Analyse

Croissance mondiale : molle et fragile au Nord, en chute au Sud

Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le choc de croissance négatif dans les pays émergents ne devrait pas entraîner de ralentissement dans les pays avancés.
La croissance en France devrait atteindre 1,1% cette année et 1,8% en 2016. (Photo Ted Aljibe. AFP)
publié le 15 octobre 2015 à 17h33

«La prévision est difficile, surtout lorsqu'elle concerne l'avenir.» La formule du défunt humoriste Pierre Dac n'a pas pris une ride, surtout lorsqu'elle concerne l'économie. Le plus prudent consiste à adopter une sorte de principe de précaution en précisant la nature des hypothèses. Histoire d'éviter que les prédictions ne soient apparentées, plus tard, à une bévue. C'est sans doute pourquoi les chercheurs de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui ont livré ce jeudi leurs dernières perspectives de croissance 2015-2017 pour l'économie mondiale, font preuve de quelques réserves.

Ainsi, si les cours du baril de pétrole restent bas, si les taux de change (notamment de l’euro) ne bougent pas, si les politiques budgétaires sont globalement moins restrictives et si aucune bulle en formation sur les marchés financiers ne vient à éclater, alors le monde pourrait connaître une accélération de son rythme annuel de croissance entre 2015 et 2017 (de 2,7% à 3,3%).

Accélération de la croissance dans la zone euro

L'OFCE prévoit une croissance mondiale légèrement plus faible cette année, à 2,7% contre 2,9% jusque-là. «Mais la dynamique de la croissance mondiale entrevue au printemps 2015 se confirme, avec une consolidation de la reprise dans les pays industrialisés et, en particulier, une accélération de la croissance dans la zone euro», estime l'économiste Eric Heyer.

Selon l’OFCE, la zone euro devrait ainsi connaître une croissance de 1,7% cette année, de 1,9% en 2016 et de 1,8% en 2017. Dans cette zone du monde, qui représente 16,2% du PIB mondial, les disparités de croissance risquent d’être relativement importantes. Sans surprise, la Grèce sera le pays le plus affecté par un recul de la croissance, poursuite de l’austérité budgétaire oblige. De 2% initialement prévus en mars 2015, Athènes pourrait connaître une croissance à peine positive (0,1%). Pas de quoi entrevoir le début de la fin du tunnel récessif dans lequel est plongé le pays. Il faudra attendre 2017 pour frôler les 2%.

51,1% en France en 2015

Selon l'OFCE, la croissance en France devrait atteindre 1,1% cette année et 1,8% en 2016. En 2017, l'activité devrait croître à un rythme légèrement supérieur de 2%. Ces prévisions sont supérieures à celles du gouvernement, qui parie sur une croissance de 1% cette année et de 1,5% l'année prochaine.

La consommation des ménages, favorisée par le redressement du pouvoir d’achat lié en particulier à la baisse du prix du pétrole, soutiendrait la croissance cette année, mais pas au point de compenser le désinvestissement des ménages (-3,6%) et celui des administrations publiques (-2,6%), qui continuent de freiner l’activité.

2016, année de la reprise ?

L’année 2016 pourrait être celle de la reprise, notamment grâce à une hausse de l’investissement des entreprises. Et ce grâce à la baisse du coût de l’énergie qui aura permis un redressement spectaculaire du taux de marge des entreprises et au coût historiquement bas du capital. Encore faudrait-il que ces deux conditions tiennent toujours d’ici à 2016.

Jusqu’ici championne de la croissance, l’Allemagne risque de connaître quelques ratées. Le numéro 1 mondial des exportations ne pourra pas échapper à la crise des pays émergents qui affecte la Chine, le Brésil ou encore la Russie… Sa croissance risque de s’en ressentir en affichant un 1,5% cette année, bien en deçà des 2% sur lesquels tablait l’OFCE en mars 2015. Voilà pour l’Union européenne à 15. A 28, la croissance y gagnerait trois fois rien (1,7% en 2015, 1,9% en 2016 et 2% en 2017).

Les pays émergents en difficulté

Les choses se compliquent légèrement lorsque les experts de l’OFCE se penchent sur le reste du monde, et principalement sur les grandes économies émergentes. Ces dernières, qui avaient bien résisté à la crise financière de 2008-2009 et au ralentissement de l’économie mondiale, sont aujourd’hui exposées à la baisse du prix des matières premières, et à l’instabilité provoquée par une possible sortie de capitaux au cas où les Etats-Unis décidaient d’augmenter leur taux d’intérêt. De quoi freiner le début de la reprise fragile dans les pays industrialisés ?

«Pas pour l'instant. Certes, la Chine, dont la croissance baisse, va impacter les économies émergentes d'Asie. Ces dernières seront les plus touchées par le ralentissement de la première puissance commerciale. Et les pays développés en subiront, eux aussi, les effets négatifs via un ralentissement de leur demande extérieure», estime Xavier Timbeau, responsable de la prévision à l'OFCE.

Mais, selon ce chercheur, ce choc négatif ne devrait pas remettre en cause «le régime de croissance des pays développés dans leur ensemble». L'OFCE évoque l'existence d'un possible découplage, avec un ralentissement dans les pays en développement (3,2% de croissance en 2015 contre une moyenne de 4,6% sur la période 2012-2014) et une accélération de la croissance dans les pays avancés.

Des fragilités persistantes

Il reste des fragilités dans le scénario de reprise esquissé par l’OFCE, notamment en raison du désendettement des Etats et des ménages. De plus, l’OFCE constate le peu de répercussion de la politique monétaire de la BCE sur une reprise du crédit et donc de la consommation. Graphique à l’appui, l’OFCE montre que les ménages ou les entreprises continuent de prévoir leur avenir en imaginant une baisse des prix.

Or, ce type de comportement débouche sur un phénomène économique des plus dangereux : la déflation. Cette maladie orpheline, sans remède connu et contre laquelle les politiques monétaires semblent de bien peu d’effets, reste la grande menace à combattre… tant en Europe qu’aux Etats-Unis.

Risque de «stagnation séculaire» ?

Pour l'OFCE, c'est entendu : «La reprise mondiale aura besoin d'un autre carburant que la baisse du prix du pétrole pour être auto-entrenue.» Les regards des économistes de l'OFCE se tournent vers la transition écologique dont doit discuter la COP21 : si, à la conférence de Paris sur le climat début décembre, des mesures sont adoptées pour aboutir à une économie «zéro carbone» à l'horizon 2050 ou 2100, elles devraient induire de nouveaux types d'investissements.

«Jamais dans l'histoire des économies développées un tel retard d'investissement n'aura été aussi manifeste, alimentant le risque de rester prisonnier de la trappe de la "stagnation séculaire"», conclut Xavier Timbeau, en référence à ce concept théorisé en 1938 au lendemain de la Grande Dépression, par l'économiste américain Alvin Hansen face à la période prolongée de faible croissance et de chômage élevé que traversaient les Etats-Unis.