Menu
Libération
Tip-top

Un restaurateur de New York en guerre contre la tyrannie du pourboire

Les clients des treize établissements new-yorkais de Danny Meyer ne pourront bientôt plus laisser de pourboire, a annoncé le restaurateur, qui en promettant d'augmenter en échange les salaires de ses salariés, remet en question l'institution du «tip», de plus en plus décriée.
Il est d'usage de laisser entre 15 et 20% de pourboire dans les restaurants américains, une pratique de plus en plus décriée. (Creative Commons - Manny Hernandez)
publié le 16 octobre 2015 à 18h35

Qui a déjà mis les pieds dans un resto américain sait qu'il est d'usage de laisser, une fois venu le moment de payer, un pourboire conséquent (généralement 15 à 20% du montant de la note), sous peine de passer pour un gros rustre. Cette pratique, assez exotique de notre côté de l'Atlantique mais considérée comme une véritable institution aux Etats-Unis, n'aura bientôt plus cours dans plusieurs restaurants populaires de New York. Danny Meyer, un des restaurateurs le plus influents de la ville, a annoncé mercredi qu'il allait supprimer les pourboires obligatoires dans ses treize établissements (Union Square Cafe, Gramercy Tavern, Blue Smoke…), et revoir la grille des salaires de ses 1 800 employés pour compenser leur manque à gagner.

Dans une lettre publiée en ligne, le chef d'entreprise explique que le coût sera au final identique pour le consommateur et que le nouveau système sera plus équitable, surtout pour le personnel en cuisine qui ne touche pas de pourboires. «Nos cuisiniers, ceux qui s'occupent des réservations ou ceux qui font la plonge, pour n'en citer que quelques-uns, ne profitent pas de la générosité des clients alors que leur contribution est capitale à la bonne marche des restaurants», écrit Danny Meyer.

Plus d'espace réservé au «tip» sur l'addition

Le restaurateur avait déjà fait part de sa volonté de proposer des menus service compris, à l'européenne - pratique qui n'existe pour l'instant que dans quelques restaurants américains. Dans une newsletter envoyée en 1994 aux clients du Union Square Cafe, un de ses établissements, il dénonçait la tyrannie du «tip» (pourboire en américain) dans la restauration : «Imaginez, c'est comme si dans un magasin de chaussures, pour être mieux servi, vous deviez laisser un pourboire au vendeur qui serait proportionnel à votre perception de son expérience et du nombre d'allers-retours qu'il a effectués pour aller chercher votre pointure dans la réserve. En tant que client, est-ce que ce n'est pas plus simple que le service offert par ce vendeur soit compris dans le prix de vos chaussures ?»

Le premier restaurant de son groupe à expérimenter ce nouveau système sera le Modern, restaurant deux étoiles installé dans le Moma, le musée d'art moderne. Dès novembre, les clients se verront proposer une carte avec des prix plus élevés (de 20% environ) et, à l'issue de leur repas, une addition sans espace dédié à l'inscription du montant du pourboire, comme c'est le cas actuellement.

Que reproche exactement Danny Meyer aux pourboires ? D'abord d'être inégalitaires. Aux Etats-Unis, les serveurs en salle touchent parfois jusqu'à trois fois plus que le personnel en cuisine, souvent plus formés, alors même que leur salaire de base est plus faible. Un serveur à plein temps dans un restaurant new-yorkais touche en moyenne 40 000 dollars par an (environ 35 200 euros), pourboires inclus, et certains empochent même jusqu'à 100 000 dollars annuels, selon le site spécialisé Eater. Alors qu'un cuisinier, qui lui ne perçoit pas de pourboire puisqu'il n'est pas en contact avec le client, touche rarement plus de 35 000 dollars par an, et ce même dans les restaurants gastronomiques. Partager les pourboires entre tous les employés, y compris ceux en cuisine, permettrait de gommer cette disparité, mais, pas de chance, la loi fédérale l'interdit formellement.

Les employés payés au pourboire deux fois plus touchés par la pauvreté

Stephen Dubner, l'auteur du best-seller Freakonomics, a également montré que la pratique du pourboire était discriminatoire, les clients ayant tendance à plus «tiper» les serveuses au physique avantageux et les serveurs blancs plutôt que les Afro-américains. Selon une étude de l'Economic Policy Institute, les employés payés au pourboire sont également deux fois plus touchés par la pauvreté, et ont trois fois plus de chances d'être éligibles aux système des bons alimentaires, réservés aux plus démunis. Enfin, il n'existe aucune preuve que le pourboire améliore vraiment la qualité du service, rappelait le site Vox en décembre dans un article très complet sur le sujet. «Le client américain moyen laisse exactement le même montant, indépendemment du service», a d'ailleurs prêché le restaurateur Danny Meyer à la radio NPR.

Augmenter les salaires de ses employés, et tout particulièrement des cuisiniers (dont le salaire moyen devrait passer 11,75 à 15,25 dollars au restaurant du Moma) est aussi un moyen de rester compétitif et de garder son personnel. Les employés de fast-food de l'Etat de New York vont en effet bientôt toucher un salaire minimum de 15 dollars de l'heure, salaire minimum qui n'existe pas dans la restauration classique. Résultat, certains restaurateurs, y compris d'établissements très chics, craignent que leurs cuisiniers les abandonnent pour les McDonald's et autres Taco Bell, plus rémunérateurs.