La chose est passée inaperçue en France, peut-être parce que désormais les grands mouvements de concentration capitaliste apparaissent comme une «théologie», disait Habermas, ou un effet du destin, auquel nul ne peut s'opposer. Voilà de quoi il s'agit. Il existe un géant de l'édition en Italie : Mondadori, qui est dirigée par Marina Berlusconi, et dépend de la Fininvest, que contrôle son papa Silvio. Mondadori possède déjà ElectaPiemme, Sperling & Kupfer, Frassinelli et, surtout, Einaudi, prestigieuse maison historiquement de gauche, dont le rachat, il y a quelques années, avait suscité la mobilisation des acteurs culturels. L'autre géant, un peu moins grand, c'est RCS : le groupe Rizzoli-Corriere della Sera.
Qu'a fait le plus grand des deux ? Pour 127 millions et des poussières, il a acheté son dauphin, et, dans la même bouchée, avalé Marsilio, Fabbri et Bompiani. «Voilà une opération dont nous sommes particulièrement fiers», a déclaré Marina Berlusconi.
Le monstre, aussitôt baptisé «Mondazzoli», représente désormais plus de 38 % du marché de l’édition (et 25 % des livres scolaires), et inscrit à son catalogue quasiment tous les auteurs à succès, de Houellebecq à Umberto Eco. Ecrivains et intellectuels ont d’abord réagi par des pétitions, d’autres ont manifesté les craintes que Mondadori, qui a déjà cédé Harlequin à l’américaine HarperCollins, se vende ou s’entende avec un groupe étranger (Bertelsmann) pour devenir encore plus gigantesque.
Mais peu à peu le silence s’est fait, dans l’attente ou l’espoir que l’Antitrust (l’Autorité de contrôle) se prononce sur l’effectivité du «monopole». Sans doute n’y a-t-il pas encore monopole, puisque, de Laterza à Feltrinelli, existent des éditeurs indépendants. Seulement domination, ou risque d’«homogénéisation».
On peut en effet redouter que ne s'étende sur la production de livres ce que Pasolini appelait un «linceul», apte à effacer toutes les différences, les particularités des maisons d'édition qui avaient chacune son histoire, ses valeurs, ses idéaux et auxquelles on s'attachait par sympathie, empathie, affinité politique ou communion idéelle. Chaque auteur était chez lui dans sa «maison» - la bien nommée - et pourrait à présent être homeless, ou habiter un unique immeuble anonyme, «sans histoire». Pensée unique, style unique ? Pas encore…