Pour la première fois depuis la chute du communisme, la gauche sera totalement absente du nouveau Parlement polonais. La plupart des commentateurs attribueront cette élimination à la désunion des forces qui s’en réclament et à la concurrence entre ses deux représentants aux élections de dimanche. La coalition Gauche unifiée (7,55 %) n’atteint pas le seuil d’éligibilité, fixé à 8 % pour les coalitions, pas plus que le jeune parti Razem (Ensemble), qui totalise 3,62 % (soit moins que la barre des 5 %). Certes, ils auraient pu, tous unis, remporter quelques sièges. Mais cela ne doit pas faire oublier que la gauche qui, au pouvoir de 1995 à 2005, a mené une politique de droite, n’a plus d’influence dans le jeu politique polonais. Lequel se résume au duel entre libéraux pro-européens et conservateurs xénophobes.
Fait paradoxal, la gauche n’a pas disparu avec le communisme. Après la chute du Mur, relookée en gauche sociale-démocrate à l’européenne, elle a longtemps présidé aux destinées du pays. Leader du SLD (Alliance de la gauche démocratique), Aleksander Kwasniewski a fait deux mandats de président (de 1995 à 2005). Il a même été élu la première fois contre Lech Walesa, incarnation du syndicat Solidarnosc, le tombeur du communisme. En 2001, le SLD, parti du pouvoir qui rassemble les ex-apparatchiks communistes, est allé jusqu’à conquérir la majorité des sièges au Parlement.
Son déclin commence en 2005 lorsqu’à la suite de graves scandales de corruption, il est repoussé dans l’opposition par le parti Droit et Justice (PiS), créé par les frères Jaroslaw et Lech Kaczynski. Le PiS l’emporte avec un programme populiste, qui séduit une partie des traditionnels électeurs de gauche, déçus des inégalités engendrées par la transition libérale. Les autres finissent par choisir le vote utile en donnant leurs voix à la Plate-forme civique (PO), le parti pro-européen qui dirigera le pays de 2007 à 2015. Le débat gauche-droite, jamais pertinent dans les anciens pays du bloc de l’Est, est remplacé par le débat «plus ou moins d’Europe», Bruxelles ayant pris aux yeux des nationalistes la place honnie qu’avait Moscou à l’époque communiste.
La nécessité de créer une nouvelle gauche ressurgit dans les années 2010 sans jamais se concrétiser. Monte alors le mouvement de l’excentrique Jan Palikot, qui plaide pour le pacs, l’avortement et la suppression des cours de religion à l’école. Il séduit une partie de la jeunesse. Mais la grande majorité des Polonais, restée traditionnelle et chrétienne - dans la mesure où être chrétien, c’était être anticommuniste sous la dictature -, n’y a pas souscrit. Même la fécondation in vitro y provoque encore des antagonismes passionnés. En clair, la gauche postcommuniste a échoué, et sa version postmoderne ne parvient pas à démarrer.