Des quais refaits à neuf, des digues restaurées, un nouveau mur érigé face à la mer pour protéger une anse au nord… L’île de Sein semble parée à toutes les éventualités. Cette longue bande de terre et de granit posée au ras de l’eau, à huit kilomètres à l’ouest de la pointe du Raz, dans le Finistère, n’a pourtant jamais été aussi fragile. Les violentes tempêtes qui se sont abattues sur elle en 2008 et en 2014 - d’une ampleur jamais vue de mémoire de Sénan - ont montré à quel point elle pouvait subir de plein fouet les effets des dérèglements climatiques. Au cours de ces funestes journées, des vitrines ont explosé sous les paquets d’eau ; la façade d’une des deux gares maritimes a été défoncée ; des blocs de granit de plusieurs centaines de kilos étaient soulevés par les flots et déposés sur la grève.
Stigmates. «Même le bateau de sauvetage accroché à son corps-mort, un bloc de onze tonnes, a dérivé, se souvient François Spinec, un pêcheur de 69 ans qui part toujours en mer chercher le lieu jaune et le bar. C'est sûr que depuis quelques années, la mer est plus forte et pousse davantage. Autrefois, on pouvait laisser les casiers et du matériel de pêche sur le terre-plein, près du port. Aujourd'hui, il n'en est plus question.»
Est-ce à dire que l'île de Sein, dont la hauteur moyenne au-dessus de l'eau, selon les derniers relevés, dépasse à peine les deux mètres, pourrait être effacée de la carte sous le double effet de la montée des eaux et des ouragans ? On n'en est pas là. Mais certains redoutent déjà le jour où l'île sera submergée, au moins le temps d'une marée, par les vagues. «Cela arrivera à sept heures du matin ou du soir, heures de pleine marée par fort coefficient, un jour de tempête et de forte houle, comme en 2014», prédit Serge Coatmeur, le gardien du phare qui se dresse à l'extrémité ouest de l'île.
A presque 60 ans, dont quarante passés dans les phares de la mer d'Iroise et dix-huit dans celui de Sein, l'homme se voit comme «un observateur privilégié de la montée des eaux» et fait faire le tour du propriétaire en pointant les stigmates laissés par les dernières tempêtes : pans de murs brisés par la mer, coulées de galets répandus jusqu'au pied du phare. «La mer est comme un assaillant, remarque le gardien. Elle se sert des tas de galets pour monter sur le mur brise-lames et envahir la côte. D'année en année, elle gagne du terrain, il faudrait refaire le trait de côte en dégageant les galets pour qu'ils jouent leur rôle de frein, c'est un combat permanent.»
Eoliennes. Serge Coatmeur se souvient surtout aussi que, lors de ces tempêtes de 2014, le phare de Sein s'est retrouvé pour la première fois entouré d'eau, la mer s'infiltrant jusque dans la centrale électrique où se trouvent les groupes électrogènes au fioul qui alimentent l'île. Un poste éminemment stratégique. Partisan d'une énergie 100 % renouvelable qui éviterait d'importer chaque année quelque 420 000 litres de fioul pour produire de l'électricité, il milite d'ailleurs au sein de l'association IDSE (île de Sein énergies) pour défendre un projet participatif qui permettrait de s'affranchir de la tutelle d'EDF, tout en s'appuyant sur l'éolien et les panneaux photovoltaïques pour produire de l'électricité. Mais le monopole d'EDF sur la fourniture d'énergie n'est pas si simple à écorner et le projet se heurte à des obstacles juridiques difficiles à surmonter ( Libération du 23 février 2015).
D'autant que, réagissant aux initiatives des Sénans, l'électricien s'est mis a développer son propre projet en lançant des études pour l'installation de deux éoliennes sur Sein, avec l'objectif, d'ici à 2030, de fournir 100 % d'électricité renouvelable. «C'est incroyable ! ironise Serge Coatmeur. Alors qu'on nous disait qu'il n'y avait que le fioul comme solution à Sein, voilà qu'on en est au 100 % renouvelable ! Et tout ce qui était encore impossible hier devient maintenant possible. EDF craint pour son monopole avec notre projet qui pourrait donner des idées : c'est le seul en France sur une zone non interconnectée au réseau.» Avec la COP 21 à Paris dans un mois, «Ça va bouger !» espère-t-il.
En attendant, devant la vulnérabilité de l'île face aux éléments, le maire de Sein, Dominique Salvert, se veut rassurant. «On n'a rien à craindre de la montée des eaux, assure-t-il, dans une salle communale où est accroché un imposant portrait du général de Gaulle. Selon les experts, on va perdre 3 millimètres par an et l'île est sur une plaque tectonique qui la fait monter de 2 millimètres par an ! En Vendée, ou dans certaines zones du pays bigouden, situées en dessous du niveau de la mer et seulement protégées par des dunes de sable, ils ont beaucoup plus à craindre.»
Cuissardes. Reste la menace de tempêtes à répétition et d'une violence hors-norme. «Certes, ici, nous n'avons pas de solution de repli et, sans les digues de protection, l'île n'existerait pas, concède l'édile. Mais tout l'habitat a été conçu pour résister aux tempêtes et avec au moins un étage où se réfugier en cas d'inondation. Personne n'est encore mort noyé sur l'île de Sein.» Dans les ruelles étroites qui parcourent ce village de 140 habitants l'hiver, on ne se montre guère plus inquiet. «S'il faut mettre des bottes, on en mettra et quand il faudra des cuissardes, on passera aux cuissardes», lâche, fataliste, un habitant.