Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre un tel maître en manipulation, un tel expert dans le jeu du poker menteur élargi à l’échelle de tout le Moyen-Orient et, à ce double titre, Ahmed Chalabi aurait mérité d’apparaître dans un grand roman de John Le Carré. Ce que l’histoire retiendra de sa longue carrière politique et d’opposant à Saddam Hussein, c’est qu’il fut celui qui donna les faux arguments à l’administration américaine permettant à George W. Bush d’envahir l’Irak en 2003. En revanche, on ne saura jamais avec certitude si ce chiite professant des idées laïques a été ou non un agent iranien. Ahmed Chalabi a emporté ses secrets dans sa tombe : il est mort mardi à Bagdad, à l’âge de 71 ans, d’une crise cardiaque.
Lié à la CIA
Né en 1944 dans une famille aisée très proche du roi de Bagdad – son père était président du Sénat et conseiller du souverain —, Ahmed Chalabi fuit avec sa famille la révolution de 1958 qui renverse la monarchie et Fayçal II. La famille Chalabi perd alors une grande partie de son immense fortune et ses terres sur lesquels les paysans avaient un statut de serfs. C’est le début d’un long exil qui durera 34 ans.
Il se fixe alors pour mission de chasser les usurpateurs du trône – l’armée irakienne et les communistes —, puis, ceux qui les renverseront, le parti Baas et Saddam Hussein. Pour cela, il est prêt à se lier avec le diable. Ce sera la CIA. En attendant, il fait de brillantes études. A Bagdad, c’était dans un collège de jésuites. Aux Etats-Unis, ce sera à l’université de Chicago et au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Cet amoureux de l’algèbre deviendra professeur de mathématiques.
Condamné en Jordanie
Commence une vie plutôt trouble. En 1977, il fonde la banque jordanienne Petra, qui devient l'une des plus importantes du pays. S'ensuivent une faillite frauduleuse et une condamnation, en 1992, par un tribunal jordanien à 22 ans de prison. La justice lui reproche d'avoir fait transférer 288 millions de dollars sur ses comptes en Suisse. Il y aura d'autres accusations de corruption portées à son encontre.
Ami des faucons américains
Il noue des relations avec les réseaux néoconservateurs américains et les faucons du Pentagone, en particulier Richard Perle, Paul Wolfowitz, le stratège de la dissuasion nucléaire Albert Wohlstetter et le grand manitou des combines politiques douteuses, le vice-président Dick Cheney. Pour eux, il est l'homme sur lequel il convient de miser pour chasser Saddam Hussein. Et pour cause : il leur fournit tout un lot de fausses informations sur la possession de supposées armes de destruction massive par le régime.
Mais les Américains sont de bien mauvais politiques : ils misent sur lui et le CNI pour constituer une alternative au régime de Saddam en tant que gouvernement transitoire, alors qu'il n'a aucune base politique en Irak et qu'il a perdu tout contact avec les sensibilités du peuple irakien. De plus, son parti, le CNI, resté trop longtemps à l'étranger, souffre d'une mauvaise image. En fait, ce sont les partis islamistes chiites pro-iraniens qui vont vite s'imposer et assurer la relève. Lui ne fera guère que de la figuration, même s'il occupe des postes politiques importants dans les premiers gouvernements, dont celui, stratégique, de ministre du Pétrole.