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Libération

Au Vatican,les bavards se font sonner les cloches

Un prélat espagnol et une laïque italienne ont été arrêtés par la gendarmerie du pape, qui les soupçonne d’avoir livré des informations confidentielles à la presse sur la gabegie régnant dans le petit Etat.
par Eric Jozsef, Rome, de notre correspondant
publié le 3 novembre 2015 à 20h06

Au Vatican, les corbeaux volent en escadrilles. Et en toute saison. Trois ans après l’affaire Vatileaks et l’arrestation du majordome du pape Paolo Gabriele, qui avait balancé les secrets troubles de la curie autour de Benoît XVI, c’est au tour d’un prélat espagnol, monseigneur Lucio Angel Vallejo Balda, de finir derrière les barreaux. Ce proche de l’Opus Dei a été arrêté ce week-end par la gendarmerie vaticane, en même temps qu’une jeune laïque italienne, Francesca Immacolata Chaouqui, qui a été, depuis, remise en liberté.

Tous deux sont suspectés d'avoir transmis des documents confidentiels sur les finances du Vatican à des journalistes, en particulier à Gianluigi Nuzzi, l'auteur, en 2012, de Sua Santità, le brûlot sur les turpitudes du Saint-Siège alors alimenté par les confessions de Paolo Gabriele. Via Crucis, le nouvel ouvrage de Gianluigi Nuzzi, paraîtra en France sous le titre Chemin de croix (Flammarion) le 11 novembre. Il y détaille les obstacles que le pape François rencontrerait dans son opération de «nettoyage» du Vatican. «Les cardinaux ont laissé leurs berlines au garage mais ils continuent à vivre dans des appartements de 500 m2. Le pape est le seul qui veuille vraiment changer les choses et qui vit dans un 50 m2», résume le journaliste, qui énumère les freins au changement et les dérives persistantes, comme «l'obole de Saint-Pierre qui ne finance pas les œuvres de bienfaisance. Les fonds destinés aux indigents servent à couvrir les frais de la curie».

«Révolution». Jorge Mario Bergoglio a en tout cas décidé qu'après l'affaire Gabriele, condamné à trois ans de prison puis gracié, il fallait aussi couper la tête aux corbillats. «Les publications de ce type ne servent pas à faire la lumière ou à établir la vérité mais génèrent au contraire de la confusion et des interprétations tendancieuses», a justifié Federico Lombardi, le porte-parole du pape, ajoutant : «Il faut éviter de penser que c'est un moyen d'aider la mission du pape.» En clair, sous François, le linge sale doit être énergiquement lavé, mais sans faire de mousse à l'extérieur.

L'affaire de monseigneur Balda et de la jeune Chaouqui relèverait de cette ligne de conduite. Nommés en 2013 par François membres d'une nouvelle commission d'«études des activités économiques» qui devait apporter des remèdes au mauvais fonctionnement du Saint-Siège, Mgr Balda et Francesca Chaouqui sont, en silence, tombés en disgrâce. Il faut dire que la nomination de la consultante de 33 ans avait déjà suscité des interrogations. Malgré son expérience dans des cabinets d'audit et dans la communication, sa désignation dans le saint des saints des affaires économiques de l'Eglise avait pour le moins étonné. «C'est la révolution de François», lâchait-on à l'époque autour du Tibre pour commenter la nomination de la Calabraise, en dépit de ses coups d'éclat.

Auteure de tweets controversés (et démentis par l’intéressée) dans lesquels elle laissait entendre que le ministre de l’Economie de Silvio Berlusconi était gay et que Joseph Ratzinger, le précédent pape, était atteint de leucémie, Francesca Immacolata Chaouqui aurait de plus été, selon la presse italienne, une informatrice du temps de Vatileaks.

Vendetta. Au bout d'un an de travaux, la commission d'études des activités économiques cesse en tout cas d'exister. Mais Mgr Lucio Angel Vallejo Balda et sa protégée, apparemment jugés trop opportunistes par l'entourage du pape, n'ont pas été recasés. Le souverain pontife aurait notamment piqué une colère en apprenant qu'à l'occasion de la canonisation de Jean Paul II et de Jean XXIII, le prélat et la lobbyiste avaient organisé une grande fête mondaine sur le toit des palais apostoliques. Mgr Lucio Angel Vallejo Balda est mis à l'écart du secrétariat pour l'Economie dont il visait la vice-préfecture. Est-ce cette infortune qui a poussé l'étrange couple à nourrir un esprit de vendetta ? Sont-ils les informateurs, et les seuls, qui ont donné des documents à la presse ?

Francesca Chaouqui assure qu'elle n'est pas un corbeau et charge le prélat : «C'est lui qui a tout fait. J'ai essayé de l'en empêcher. Je suis innocente et suis disposée à collaborer pour établir la vérité.» Et d'ajouter qu'il existe une atmosphère de «longs couteaux» au Vatican.

De fait, deux ans après la démission de Benoît XVI, le temps des complots et des scandales n'est pas révolu sous les colonnes du Bernin. Après le coming out de Mgr Charamsa, théologien du Saint-Office révélant son homosexualité à la veille du synode de la famille, c'est une supposée lettre de 13 cardinaux contestataires qui a été révélée mi-octobre par la presse. Pour ajouter à ce climat délétère, le journal italien Quotidiano nazionale a affirmé que le pape était victime d'une tumeur bénigne au cerveau. Le Vatican a fermement démenti. Dans l'entourage du souverain pontife, on espère que, d'une certaine manière, l'arrestation de Mgr Balda «pourra servir d'exemple».