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Analyse

Climat, le double jeu de la Corée du Sud

Séoul joue de son statut de pays émergent pour se placer dans les institutions internationales. Tout en laissant ses émissions de gaz à effet de serre s'envoler.
Lee Hoesung Lee, après son élection à la présidence du Giec, avec Nicolas Hulot, à l'Elysée, le 15 octobre. (Photo Eric Feferberg. AFP)
publié le 3 novembre 2015 à 11h38

A Séoul aussi, il sera question de climat et croissance verte pour François Hollande, qui atterrira en Corée du Sud mardi soir. Le Président prendra part à une table ronde au côté notamment de Lee Hoesung, élu le 6 octobre à la tête du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Une victoire de plus pour le pays du Matin calme, qui a prouvé qu’il avait sa place parmi les grands depuis l’élection de Ban Ki-moon au secrétariat général des Nations unies puis la tenue du G20 dans la capitale sud-coréenne en 2010.

«Parmi les pays les plus pauvres du monde»

Comme à leur habitude, les autorités sud-coréennes ont su mettre en branle une machine diplomatique efficace derrière leur poulain, un économiste de formation, conseiller politique et ancien vice-président du Giec. Pendant un an, une délégation sud-coréenne a parcouru 23 pays, essentiellement en Asie du Sud-Est, Afrique, Amérique latine et même dans quelques îles du Pacifique, pour les convaincre que Lee Hoesung était le meilleur médiateur entre les pays du Nord et du Sud. «Il est le mieux placé pour comprendre le point de vue des pays en développement, des pays avancés et des pays en transition et pour promouvoir le consensus auprès de la communauté internationale. Dans les années 50 et 60 où le docteur Lee a grandi, la Corée faisait partie des pays les plus pauvres du monde», pouvait-on lire sur sa candidature officielle. Un argument qui a fait mouche : «Cette victoire reflète tout simplement la montée en puissance des pays émergents. Le Giec doit et devra de plus en plus être à leur écoute», commente Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe de travail numéro 1 du Giec.

Pour expliquer la large avance de Lee sur ses deux principaux concurrents, le Belge Jean-Pascal Van Ypersele et le Suisse Thomas Stocker, on analyse en coulisses «qu'il était de facto le seul représentant d'un pays émergent». C'est bien là le cœur de la stratégie sud-coréenne en matière de diplomatie verte : la 13puissance économique mondiale, qui affiche le 15meilleur indice de développement humain du monde, se range du côté des pays en développement au sein du protocole de Kyoto. Conséquence : elle échappe aux obligations de réduction chiffrées de ses émissions pour 2020, alors qu'elle a vu ses émissions de gaz à effet de serre doubler entre 1990 et 2010. Si la Corée est certes devenue le premier pays d'Asie à avoir mis en place un marché national du carbone en janvier, de plus en plus de voix s'élèvent pour déplorer la dichotomie entre son discours de premier de la classe et ses engagements réels a minima. «Les émissions de CO2 par habitant sont environ deux fois plus importantes qu'en Chine et près de dix fois plus qu'en Inde. Malgré son leadership sur les questions climatiques, la Corée du Sud n'a pas réussi à prouver son engagement par des actes», résume Rakesh Kamal du Centre pour la science et l'environnement de New Delhi.

«Hosting diplomacy», ou la stratégie de l’organisateur international

Depuis quelques années, Séoul pratique ce que Scott Snyder appelle la «hosting diplomacy», ou stratégie de l'organisateur international. «En exploitant habilement son statut de "puissance moyenne" et l'histoire de son formidable développement économique, le pays a réussi à attirer un nombre record de figures mondiales», analyse cet expert du think-tank américain Council on Foreign Relations. Quant à son positionnement de leader de la croissance verte dans les pays en développement, la Corée le doit à son précédent président, Lee Myung-bak, qui en avait fait son slogan phare. En 2010, il lançait en grande pompe à Séoul l'Institut mondial de la croissance verte, censé promouvoir un modèle de croissance économique durable au sein des pays émergents, et qui compte aujourd'hui une vingtaine de pays membres.

Deux ans plus tard, la ville nouvelle de Songdo était choisie pour accueillir le nouveau Fonds vert pour le climat, destiné à aider les pays les plus vulnérables à lutter contre le changement climatique. La «métropole du futur» fraîchement sortie de terre peinant à attirer les investisseurs, de gros moyens avaient été déployés par les autorités, au niveau national comme local. «Quelques jours avant l'élection, le président avait lui-même appelé quelques-uns de ses homologues pour les convaincre», rapporte Jung Hong-sang, de l'Institut coréen de météorologie, à la tête de l'équipe de campagne. Le chanteur Psy, célèbre auteur du Gangnam Style, avait même été embauché pour l'occasion.

Après l'élection de Lee Hoesung, le même Jung Hong-sang, qui disait avoir reçu «beaucoup de pression» d'en haut, a confié : «Si nous avions échoué, je me serais senti coupable pour mon pays.»