«Mes grands-parents ont fait la guerre, mes parents ont fait la révolution de 1989, aujourd'hui c'est notre tour !» pouvait-on lire mardi soir sur une des pancartes brandies par des jeunes descendus dans la rue. Organisées en quelques heures sur les réseaux sociaux, ces manifestations sont les plus grandes en Roumanie depuis 1990. Elles n'ont pas de leaders, ce sont juste des dizaines de milliers de personnes qui affluent dans le centre-ville et crient leur rage. Car après l'émotion, ce sont l'indignation et la révolte qui dominent à Bucarest. La tragédie de vendredi dernier, quand plus de 30 personnes sont mortes et 150 ont été blessées dans l'incendie d'une discothèque, a été le révélateur de tensions profondes dans la société roumaine.
Le premier soir, les manifestants ont demandé la démission du maire du IVe arrondissement (où se trouvait le club Colectiv qui a pris feu) et celle du gouvernement. Moins de douze heures après, le maire jetait l'éponge et le gouvernement de Victor Ponta tombait. Mercredi soir, ils étaient encore plus nombreux à exiger un changement en profondeur de la classe politique. Face à l'ampleur de la contestation, le président conservateur, Klaus Iohannis, l'un des seuls acteurs politiques encore considéré comme crédible, organise des consultations. Pour la première fois lors d'un changement de gouvernement, il ne discutera pas seulement avec les partis, mais aussi avec la société civile. «Je vous ai vus, je vous ai entendus, je vais tenir compte de vos exigences», a dit le Président aux manifestants.
Qui sont-ils ? Des jeunes pour la plupart, entre 25 et 35 ans. «Ils sont l'or gris de la Roumanie, des gens intelligents, qui ont un emploi et qui veulent continuer leur vie dans ce pays. Mais une vie décente, et non plus avoir l'impression que l'Etat se moque d'eux», explique le psychiatre Gabriel Diaconu. Des gens qui se reconnaissent dans les jeunes tués ou blessés dans l'incendie du club : architectes, publicitaires, informaticiens, journalistes… «La façon dont les autorités ont traité la discothèque est un exemple de la façon dont fonctionne l'ensemble de l'administration», estime le journaliste Ovidiu Nahoi. Selon les premiers éléments de l'enquête, la boîte n'avait pas l'autorisation d'accueillir plus de 80 personnes(il y en avait six fois plus) ni d'organiser un feu d'artifice, et n'avait jamais été contrôlée. «Cet exemple peut-être multiplié à l'infini, que ce soit le système d'éducation, de santé… Un système parrainé par une classe politique marquée par l'incompétence, ce qui explique la colère d'aujourd'hui», continue Nahoi. Après l'appel du Président, la société civile est en effervescence et des listes de revendications circulent sur les réseaux, allant de la refonte de la classe politique à la nationalisation des immeubles en piteux état. «On ne sait pas où ça mènera, mais le Président doit utiliser tout son talent pour ne pas se couper de la rue, tout en gardant un appui de la classe politique», affirme Cristian Pantazi, rédacteur en chef de Hotnews.ro.