Qui gagne, qui perd ? Dans la course diplomatique engagée pour éviter un bain de sang au Burundi, tout le monde attendait la résolution adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU, jeudi après-midi à New York. C’est l’aboutissement concret de la réunion d’urgence convoquée trois jours plus tôt, lundi, à New York, à l’initiative de la France. Une réunion qui semblait témoigner enfin d’une prise de conscience de la dérive de ce petit pays d’Afrique des grands lacs, où assassinats et disparitions se sont multipliés ces dernières semaines.
La révélation des appels à la haine proférés récemment par plusieurs responsables proches du pouvoir a aussi pu accélérer cette volonté d’agir pour éviter le pire dans une région encore hantée par le souvenir du génocide des Tutsis du Rwanda en 1994.
La Belgique conseille à ses ressortissants de partir
Pour rappel, la crise burundaise a été déclenchée en avril, à la suite de la décision du président Pierre Nkurunziza de se représenter à un troisième mandat, pourtant interdit par les accords de paix d’Arusha qui avaient mis un terme, au début des années 2000, à une longue guerre civile. Au pouvoir depuis 2005, Nkurunziza a gagné un premier bras de fer avec la communauté internationale en imposant finalement sa réélection fin juillet, lors d’un scrutin boycotté par l’opposition, dont les principaux ténors ont fini par fuir le pays.
Mais cet épilogue n’a rien réglé. Et ce n’est qu’au prix d’une répression policière féroce que le régime en place a pu empêcher la poursuite de la mobilisation populaire contre ce troisième mandat.
Peu à peu, les principaux bailleurs de fonds du pays, à commencer par la Belgique, ont restreint leur coopération en signe de protestation. Déclenchant alors une vague d’attaques anti-Occidentaux et surtout anti-Belges, fustigeant «l’ancien colonisateur» sur les réseaux sociaux. La Belgique a conseillé ce vendredi à ses ressortissants dont la présence n’est pas essentielle de quitter le pays. Et l’Union européenne «évacue» ses personnels non essentiels et leurs familles.
Une résolution adoucie
Face à la dégradation de la situation, on aurait pu s’attendre jeudi à une résolution ferme et interventionniste du Conseil de sécurité.
Pourtant, le draft initial de la résolution a été sérieusement adouci au cours des trois jours de tractations qui ont précédé son adoption à l’unanimité des quinze membres.
Le pouvoir légitimé ?
Certes, l’envoi de Casques bleus est envisagé. Mais seulement «en cas de dégradation de la situation», alors que plus de 200 personnes ont déjà été tuées et que plus de 200 000 ont fui le pays. La résolution renouvelle les appels au dialogue entre le pouvoir et l’opposition, mais sans envisager de nouvelles sanctions contre les autorités en place. Grâce à l’insistance de la Chine et de la Russie, les deux nouveaux alliés de circonstance du régime burundais, dont les ténors se sont réjouis vendredi matin d’une résolution qu’ils perçoivent, eux, «comme une victoire diplomatique».
Porte-parole du gouvernement en place, Willy Nyamitwe s’est ainsi empressé de retwitter les commentaires d’un journaliste burundais, lequel considère que la résolution légitime de facto et même «mondialement», le troisième mandat du président Nkurunziza. Puisqu’il s’agit désormais de gérer les droits de l’homme «dans le cadre de ce troisième mandat».
Et ce journaliste de se féliciter également du rôle de la France, «ami fort, discret et adroit du gouvernement burundais», dont l’initiative diplomatique à New York aurait permis l’adoption de cette résolution qui, dans l’immédiat, ne menace en rien les responsables au pouvoir.
«Les gens ici ne seront rassurés que lorsqu’ils verront des Casques bleus dans les rues. Or, ça semble encore bien incertain», se désolait jeudi soir au téléphone une habitante de Bujumbura.
Car pour qu’une opération de maintien de la paix soit envoyée au Burundi, il faudrait l’accord du régime en place ou bien une nouvelle résolution de l’ONU. Pas pour tout de suite, donc.
Le pouvoir va «tenter de rendre la répression plus discrète»
Reste à connaître le verdict du nouvel envoyé spécial de l’ONU désigné jeudi qui se rendra rapidement sur place : Jamal Benomar est un ancien militant d’extrême gauche marocain, impliqué dans plusieurs médiations diplomatiques ces dernières années, notamment au Yemen. C’est lui qui rendra un rapport à Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, avant que ce dernier ne fasse part d’un nouveau bilan (dans quinze jours) devant le Conseil de sécurité.
D’ici là, certains observateurs extérieurs estiment que le pouvoir va «tenter de rendre la répression plus discrète». «Le régime en place a tiré les leçons du génocide de 1994 au Rwanda voisin : la communauté internationale n’intervient que forcée, face à un véritable bain de sang. Qui se soucie d’un mort par ici et de trois disparitions ailleurs dans un pays africain ?» renchérit une autre source.
Qui se soucie par exemple, de la disparition de Baudouin Ndikumwami, un Burundais de 32 ans opposé au troisième mandat et arrêté chez lui dans le quartier de Musaga, à l’aube du 10 novembre ? Emprisonné dans «le cachot de la zone», il aurait été emmené le même jour à la redoutable Documentation, siège des services secrets. Depuis, sa famille n’a plus de nouvelles.
Qui se soucie du départ apparemment précipité du pays, mercredi, de Bruno Brommer, l’ambassadeur d’Allemagne, qui la veille au soir avait essuyé les tirs de la police sur son véhicule, heureusement blindé ?
«Au moins, grâce à cette résolution, le Burundi est officiellement placé sous surveillance», veut espérer un Burundais exilé en France. Une lueur d’espoir bien faible pour un minuscule pays pauvre qui, au lendemain d’une résolution plutôt timide, risque aussi de replonger dans un inquiétant silence.