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Libération
Les dents longues

Indonésie : des crocodiles «incorruptibles» pour garder les prisons

Le chef de la lutte contre les stupéfiants envisage de créer un établissement pénitentiaire gardé par des bêtes féroces. Une annonce spectaculaire mais surtout symbolique, qui s'inscrit dans le combat contre la drogue et la corruption, deux fléaux du pays.
Budi Waseso, qui est à la tête du combat contre la drogue, visite une ferme à Medan, le 11 novembre. (Photo Agence Antara. Reuters)
publié le 13 novembre 2015 à 16h22

L'information nourrit les rubriques «Insolite» des médias via une dépêche de l'AFP. Hors contexte, elle revêt un caractère ubuesque : Budi Waseso, le chef de l'agence indonésienne de lutte contre les produits stupéfiants, a proposé de construire une prison de haute sécurité sur une île gardée par des crocodiles plutôt que par des surveillants – «On ne peut pas soudoyer des crocodiles. On ne peut les convaincre de laisser s'échapper des détenus», explique-t-il au journal national Tempo. Le projet, bien qu'à son premier stade, semble sérieux, et Budi Waseso aurait visité plusieurs îles du pays pouvant potentiellement accueillir la prison et ses gardiens crocodiliens.

Cette annonce est en réalité révélatrice des combats que mène actuellement le pays contre la drogue et la corruption. Elle intervient six mois après les exécutions de plusieurs condamnés justifiées par «l'état d'urgence» face à la drogue décrété par le président Joko Widodo – celle du Français Serge Atlaoui étant pour l'instant suspendue. Dans ce cadre, les dirigeants du pays multiplient les coups de com pour faire fuir les dealers étrangers, accusés par Budi Waseso de «porter atteinte à l'Indonésie avec des narcotiques». En annonçant recruter des crocodiles matons, les autorités lancent un message limpide : elles ne renonceront devant rien pour endiguer le problème.

Une commission forte comme un lézard

La deuxième obsession du gouvernement est la lutte contre la corruption. Depuis la chute de la dictature de Suharto en 1998, le pays souffre toujours de ce mal qui touche toutes les couches de l'Etat. L'actuel président Joko Widodo sait que son mandat sera principalement jugé sur son efficacité sur ce dossier. Susilo Bambang Yudhoyono, son prédécesseur, avait déçu les citoyens par son incapacité à trouver de réelles solutions : en 2012, le ministre des Sports avait démissionné, suspecté d'avoir touché plusieurs millions de dollars illégalement.

Une commission anti-corruption indépendante (KPK) est même en place officiellement depuis 2002 pour lutter contre le problème. En 2009, courroucé par la mise sur écoute de son téléphone par cette commission, le chef de la police de l'époque avait déclaré qu'il s'agissait du combat d'un «gecko face à un crocodile», provoquant de nombreuses manifestations. Comprenez, la commission anti-corruption ne pesant pas plus qu'un vulgaire lézard face à la puissante police.

En faisant la promotion des crocodiles incorruptibles, le chef de l’Agence indonésienne de lutte contre les stupéfiants a envoyé un double message que sauront décrypter la plupart des Indonésiens.