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Libération
Récit

Niger : un candidat à la présidentielle rentre à Niamey pour dormir en prison

L'ancien président de l' Assemblée nationale Hama Amadou, exilé à Paris depuis septembre 2014, a été arrêté samedi et écroué. Il est soupçonné d'avoir adopté illégalement des enfants.
Hama Amadou, le 16 septembre 2013 dans son bureau de président de l'Assemblée nationale, à Niamey. Un an plus tard, il prenait le chemin de l'exil. (Photo Joe Penney. Reuters)
publié le 15 novembre 2015 à 18h04

L'opposant nigérien et candidat à la présidentielle de 2016 Hama Amadou a été arrêté samedi puis écroué à la prison civile de Filingué, une localité située à environ 160 kilomètres au nord-est de Niamey. L'exil de l'ancien président de l'Assemblée nationale, 65 ans, accusé par la justice du Niger d'avoir illégalement «adopté» des jumeaux au Nigéria, s'achève donc. Il résidait à Paris depuis septembre 2014, où il n'a jamais cessé de recevoir ses fidèles et de consulter les parlementaires nigériens de passage – et pas forcément de son bord – «pour prendre la température à Niamey». Alors qu'il venait de se porter candidat à la présidentielle contre le président sortant Mahamadou Issoufou, le chef de la formation du Mouvement démocratique nigérien (Moden) a été arrêté samedi à sa descente d'un vol Air France.

Pour mémoire, Hama Amadou avait, au sein d'un jeu d'alliances en 2011, aidé Mahamadou Issoufou à conquérir le pouvoir. Il s'attendait à être arrêté, comme il l'avait annoncé jeudi sur France 24, expliquant : «J'ai des devoirs envers mon pays, que je compte assumer à travers ma candidature.» Mi-septembre dernier, le ministre nigérien de l'Intérieur, Hassoumi Massaoudou, avait affirmé : «Toutes les unités de police et de gendarmerie ont reçu l'ordre d'arrêter Hama Amadou dès qu'il mettra le pied sur le sol national.» Des heurts ont opposé les forces de sécurité et des militants du Moden, à l'extérieur de l'aéroport de la fin de la matinée jusqu'à la tombée de la nuit, assure l'AFP. Il y a eu de nombreuses arrestations selon les autorités, qui ont fait état d'un enfant tué, «renversé par un motocycliste».

«Ces bébés sont les miens»

Hama Amadou est impliqué par les autorités judiciaires de son pays dans un trafic international de bébés, une «supposition d'enfants» (délit qui consiste à attribuer la maternité d'un enfant à une femme qui ne l'a pas mis au monde), dont il s'est toujours défendu. Accusé d'avoir maquillé l'état-civil de ses jumeaux, l'ex-président de l'Assemblée nationale affirme qu'il s'agit d'un «dossier monté» contre lui «par le pouvoir», alors que sa «moralité est meilleure que celle de ceux qui prétendent vouloir [l]'exclure».

Les explications qu'il avait données à Libération l'an dernier étaient assez curieuses : «Ces bébés sont les miens même si honnêtement, quand ma femme est rentrée de Lagos [au Nigéria, ndlr] où elle avait accouché, je ne lui ai pas demandé comment elle s'était débrouillée avec les papiers (sic). C'était de son ressort. J'étais pris par mes missions au service de l'Etat», s'était-il justifié.

Peur d’être «empoisonné en prison»

Selon des sources concordantes, Hama Amadou «a une peur panique d'être empoisonné en prison». A en croire ses conseils, les plaintes «ne tiennent pas». Surtout, en incarcérant Hama Amadou, le pouvoir «va en faire un martyr et donner à ce faiseur de rois une épaisseur qu'il n'avait pas jusqu'alors», juge un analyste politique local. Une aubaine en quelque sorte pour celui qui n'a aucune chance de remporter l'élection sans construire une coalition, mais pourrait toutefois gêner la réélection de Mahamadou Issoufou. Sans compter qu'un ex-ministre de l'Agriculture du Niger, Abdou Labo, un ex-proche du président au pouvoir, et poursuivi lui aussi pour «supposition d'enfants», a été investi candidat à la présidentielle de début 2016, a annoncé dimanche son parti, la Convention démocratique et sociale (CDS)…

Reste que le président en exercice semble de plus en plus être coupé de la population. Certains à Niamey évoquent «une logique d'enfermement, tant moral que physique», la présidence ayant «des airs de bunker». En interférant grossièrement dans le pouvoir judiciaire, l'exécutif donne des signes de nervosité. Pour un observateur, «le pouvoir se braque, dérape et devient paranoïaque». Le succès du meeting de Zinder, qui avait réuni le 15 septembre une foule considérable de partisans de Hama Amadou (en son absence), dans une région qui n'a jamais été son fief, inquièterait-il le pouvoir ?

Paris «aveugle et muet»

Ces derniers mois, le pouvoir se contracte et agit avec nervosité, notamment à l'égard de la presse qu'il cherche à «mettre au pas». Par ailleurs, «le mécontentement contre Issoufou» serait général, souligne une source jointe à Niamey : «La déception à son égard est immense. Longtemps dans l'opposition, il avait suscité de grands espoirs, en basant sa campagne sur la lutte contre la corruption. Celle-ci est devenue aujourd'hui si visible au sein des élites proches du pouvoir qu'elle atteint des sommets.»

Et qu'en dit Paris ? «Paris est totalement aveugle et muet», assure cette source désabusée, qui se montre fort inquiète également des faiblesses sécuritaires pointées dans la région de Diffa, à l'extrême est, sous la menace constante de Boko Haram. Interrogée à Dakar cette semaine au Forum sur la paix et la sécurité, une source militaire française déclarait : «Le Niger est vraiment le maillon faible de la région.»