Lorsqu’il quittera, vendredi, la cellule de haute sécurité de la prison fédérale de Butner (Caroline du Nord), où il purgeait depuis 1987 une peine à perpétuité pour espionnage au profit d’Israël, l’ex-officier de l’US Navy Jonathan Pollard (61 ans) ne sera pas encore vraiment libre. Car il sera soumis à un contrôle judiciaire et ne pourra pas, comme il le souhaite, quitter les Etats-Unis pour s’installer en Terre promise.
Etrange histoire que celle de cet analyste au Navy Antiterrorist Alert Center, qui, au début des années 80, a transmis à Israël un millier de documents confidentiels ainsi que des photos de satellites espions américains : des rapports de synthèse contenant des informations classifiées sur l’Iran, sur la plupart des pays arabes et sur les forces du Pacte de Varsovie, mais également des manuels et des codes de la NSA, l’agence américaine chargée des interceptions électroniques.
Pollard n'a pas agi par esprit de lucre. Certes, il a été payé (50 000 dollars), puisque c'est la règle dans le monde du renseignement. Mais il n'était pas motivé par la recherche du profit. C'était en fait un fervent sioniste qui brûlait de pouvoir «aider Israël à se défendre», et qui avait, dans sa jeunesse, rêvé d'entrer un jour au Mossad, l'une des agences du renseignement israélien.
En jargon professionnel, cet officier légèrement bedonnant et au visage rond barré de grosses lunettes était en tout cas considéré comme un «walk in», un «volontaire» qui s'était présenté spontanément à ses futurs employeurs israéliens.
Source inespérée
En l’occurrence, ceux-ci appartenaient au Lakam, un petit service ultrasecret dédié à la collecte d’informations technologiques et scientifiques. Créée en 1951 et chapeautée alors par un jeune collaborateur du Premier ministre David Ben Gourion, un certain Shimon Pérès (qui deviendra Premier ministre puis président d’Israël), cette officine stratégique n’apparaissait alors nulle part dans les organigrammes de l’Etat hébreu. Même le patron du Mossad ignorait son existence. Pourtant, elle a notamment joué un rôle primordial dans l’acquisition d’uranium de contrebande destiné à fabriquer clandestinement l’arme atomique par Israël.
Lorsque Pollard a commencé à travailler pour lui, le Lakam était dirigé par Rafael Eitan, alias Rafi, un ancien du Mossad qui avait entre autres dirigé l’enlèvement du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann à Buenos Aires en mai 1960. Aux yeux de ce service, Pollard était une source inespérée et les documents qu’il transmettait valaient largement leur pesant de dollars. Sauf que l’analyste de l’US Navy a rapidement perdu tout sens de la mesure. Il s’est cru intouchable, menant avec son épouse Anne une vie tapageuse de millionnaire qui a éveillé la méfiance de ses collègues. Et enclenché une surveillance du FBI.
Lorsqu’il a compris, en novembre 1985, que son arrestation approchait, l’officier a tenté de trouver refuge dans l’ambassade d’Israël à Washington, mais celle-ci lui a fermé ses portes sur ordre de Rafael Eitan, qui s’est aussitôt envolé à destination de Tel Aviv.
Le cas Pollard a provoqué une crise de confiance majeure entre Tel-Aviv et Washington. Israël a donc présenté ses excuses officielles aux Etats-Unis et promis qu’il ne le ferait plus. En guise de bonne volonté, il a également dissous le Lakam en 1986. Contre mauvaise fortune bon cœur, Pérès, a fait profil bas pendant quelques semaines avant de poursuivre la carrière politique que l’on sait. Quant à Eitan, il a quitté le monde du renseignement pour celui des affaires. Et pas n’importe où : à Cuba, où il a arrosé qui il fallait dans l’entourage de Fidel Castro. Il est ensuite revenu en Israël pour se lancer dans la politique. Ministre des retraités dans le cabinet d’Ehud Olmert au début des années 2000, il reste cependant interdit de séjour aux Etats-Unis.
Pas seul
Durant sa détention, Jonathan Pollard a divorcé d’Anne, son épouse et complice condamnée à cinq ans de prison, pour épouser une Canadienne, Esther Zeitz. Sous l’influence de cette dernière, il s’est rapproché de la religion juive et porte désormais la kippa.
Il a fallu attendre mai 1995 pour qu’Israël accorde sa nationalité à son espion emprisonné. D’Yitzhak Rabin à Ehud Barak, Ehud Olmert et Benyamin Nétanyahou, tous ses chefs de gouvernement ont tenté d’obtenir sa libération anticipée, mais la CIA, la NSA, ainsi que les autres agences américaines s’y sont toujours opposées. Parce qu’elles voulaient que ce traître soit lourdement puni et parce qu’elles sont toujours été persuadées que l’analyste n’a pas agi seul. Qu’il était aidé par une autre «source» surnommée «Mega» et dont l’identité n’a pas été découverte et ne le sera sans doute jamais.