À la veille de la COP 21, l’horizon d’un réchauffement limité à 2°C est-il encore envisageable ?
Célia Gautier : Le chiffre de + 2°C n’est pas un objectif mais une limite fixée par les scientifiques. Et contrairement à ce qu’a déclaré Ségolène Royal, on peut encore rester dans cette limite. D’après le Programme des Nations unies pour l’environnement, les engagements pris par les États pour la COP21 devraient permettre de faire un peu moins de la moitié du chemin. Reste l’autre moitié à parcourir. La responsabilité incombe pour une grande part aux États et l’accord qui sera signé à Paris ne fera pas le travail à leur place. Il doit les inciter à aller plus loin et à assurer une solidarité climatique, c’est-à-dire financer la transition énergétique dans les pays en développement. Là est le rôle d’un accord onusien.
Pierre Radanne : Ce qui doit faire la différence entre les pays, ce ne sont pas les objectifs, mais la vitesse à laquelle on les atteint. La politique, ce n’est pas mégoter sur les objectifs, mais donner à chacun le temps de les réaliser, tout en allant le plus vite possible, sachant que tout le monde n’a pas les mêmes moyens. Le point qui complique le jeu, c’est qu’on doit résoudre le défi climatique et, en même temps, constituer l’acteur politique de sa prise en charge. Car, les Nations unies n’ont pas les pouvoirs nécessaires pour prendre une série de décisions. Il va donc falloir à un moment poser la question de la réforme de l’Onu et de sa fusion avec l’OMC. Les Nations unies sont le seul cénacle où on peut discuter du climat avec tout le monde. Tous les autres sont des clubs de pays riches, plus ou moins élargis (G8 et G20). Il faut enfin garder en tête que, d’un point de vue économique, une transition ne se fait jamais en ligne droite, elle adopte une courbe en S. Le démarrage est très lent. Il faut former les gens, identifier les technologies, développer l’appareil industriel, adopter les lois et les règlements, avoir des débouchés, etc. Cela prend du temps. Mais une fois que le nouveau paradigme d’organisation de la société sera devenu le standard général, les choses iront relativement vite. Nos sociétés ont la capacité de tout changer en l’espace d’une génération, d’abandonner les combustibles fossiles, auxquels on s’est habitué depuis deux siècles, pour vivre avec les énergies renouvelables. On peut tout à fait y parvenir en trente ans. À condition qu’à compter de maintenant, tout le monde prenne les bonnes décisions.
Ne fonde-t-on pas trop d’attentes sur la COP21 ?
Thomas Porcher : Les COP sont nécessaires mais pas suffisantes. Derrière les réunions multilatérales, il y a toujours des rapports de force. Il ne faut donc pas attendre un accord pour agir mais agir pour obtenir un accord. En premier lieu, il faut pointer du doigt ceux qui ont les moyens d’engager la transition mais ne le font pas. Les pays de l’OCDE, qui sont responsables des deux-tiers des émissions de CO2 au XXe siècle, ont encore près de 800 plans de subventions des énergies fossiles. Que peut-on attendre de la dixième puissance économique mondiale si les États-Unis, la première, place le climat derrière la qualité de vie de ses habitants ? Difficile de mettre la pression sur les pays émergents. Nous nous contentons aujourd’hui de faire des ajustements sur le paradigme économique dominant, alors qu’il faudrait sortir du conformisme, trouver de nouveaux indicateurs, prendre une voie différente... Les États se regardent en se disant : « Pourvu qu’ils fassent plus que moi, comme ça j’aurai moins à faire ». Rien n’avancera dans ces conditions.
Peut-on parler de crise de leadership ?
T.P. : Oui, et elle a commencé avec la non-ratification du protocole de Kyoto par les États-Unis.
C.G. : Pour limiter le réchauffement à 2°C d’ici la fin du siècle, il faut une vraie révolution dans nos systèmes de consommation et de production. Aujourd’hui, les États affichent une volonté de développer les énergies renouvelables, mais ils continuent en parallèle de faire du business as usual et de financer massivement les combustibles fossiles. Aucun pays du G8 ne va assez vite dans sa transition. Aucun ne mobilise des financements à la hauteur de sa responsabilité. Sauf peut-être l’Allemagne, et la France, dans une certaine mesure. Les pays émergents et une grande partie des plus vulnérables ont, eux, montré qu’ils étaient capables d’agir sans attendre les plus riches, qu’ils étaient prêts à se développer en sautant les étapes de pollution que nous avons tous empruntées. Les pays les moins développés ont compris que la lutte contre le changement climatique était une façon de lutter contre la pauvreté. L’Éthiopie et le Maroc tiennent ce discours. L’Inde investit massivement dans les renouvelables, même si elle continue aussi de développer le charbon. Faire changer les mentalités est aussi un enjeu en Europe, où on continue de nous dire que changer nuit à notre compétitivité.
P.R. : Il n’y a plus de leadership parmi les pays industrialisés. Dans le cadre de la préparation de la COP21, 160 pays sur 195 pays ont remis une contribution précisant leurs engagements. Or, la contribution européenne est l’une des plus mauvaises. Les États-Unis sont bloqués, dans l’incapacité totale de faire voter le Congrès, ce qui sera un vrai problème après la négociation. Que dire du Canada, du Japon ou de l’Australie ? Le paysage du côté des pays industrialisés est donc compliqué ! Les pays émergents, eux, ne sont pas encore en situation de prendre seuls la relève. En revanche, ce qui est le plus frappant, c’est effectivement la qualité des contributions des pays en développement. Au début des années 2000, ces pays considéraient que le climat était l’affaire des pays industrialisés. Puis, ils ont compris qu’ils devaient atténuer leurs émissions. Et depuis Copenhague, ils sont dans l’idée qu’ils ne sont pas tenus de passer par la case « combustible fossile » pour sortir de la pauvreté, qu’ils peuvent sauter directement à l’étape d’après, celle de l’efficacité énergétique, de la sortie de la dépendance au pétrole et de l’adaptation de l’agriculture, de l’énergie et des transports. Si ces 160 pays s’accordent à Paris pour aller dans une même direction, pour adopter un mode de développement commun, ce sera une première dans l’histoire de l’humanité. Et d’un point de vue économique, cela s’appelle un plan de relance mondial.
Qu’il faudra alors financer. Comment avance-t-on sur cette question ?
C.G. : Que ce soit pour la période qui précède l’échéance de 2020 ou celle qui suivra, se posent deux questions : la transformation de l’économie mondiale, que l’on vient d’évoquer, et le financement de l’adaptation. Aujourd’hui ceux qui paient le prix du changement climatique sont ceux qui ne l’ont pas causé. Or, l’adaptation est le parent pauvre du financement climat. Les fonds privés vont peu ou pas à l’adaptation, car il n’y a pas d’argent à se faire sur la construction d’une digue. À la COP21, il faudra s’assurer que de l’argent public, prévisible, sûr et transparent, va bien du Nord vers le Sud. Arrêter de subventionner les combustibles fossiles libérerait beaucoup d’argent, mais il faut aussi créer des sources de financement innovantes. Plusieurs propositions sont sur la table comme la taxe sur les transactions financières ou celle sur le transport international, qui est quand même le grand resquilleur du climat depuis vingt ans. Pourquoi Air France ne paierait-elle pas de taxe sur son carburant, alors que le consommateur en paie ? Certains proposent aussi que les entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre versent une contribution à un fonds voué à compenser les pertes engendrées par le changement climatique.
T.P. : En 2008, Exxon a réalisé 45 milliards de dollars de bénéfices et Total 20 milliards. Pourquoi personne n’a-t-il pensé à leur appliquer une petite taxe pour financer la transition ? Dans les années 1970, après les chocs pétroliers, c’est ce qu’ont fait les États-Unis pour lever des ressources budgétaires. Il faudrait aussi s’attaquer à l’évasion fiscale, qui chaque année fait perdre à la France des dizaines de milliards d’euros. Sur la question du financement, il faut aussi évoquer le rôle du FMI qui, en échange de prêts, impose des plans d’austérité aux pays pauvres. Le Congo Brazzaville a dû se spécialiser en fonction de son avantage comparatif, en l’occurrence le pétrole, pour obtenir des fonds destinés à lutter contre la pauvreté. Comment peut-on sérieusement parler de la COP21, si les systèmes de financement internationaux en sont encore là ? On pourrait enfin financer la transition par l’emprunt. Dans nombre de pays européens, les taux d’intérêt sont très faibles et invitent à investir. Financer la transition, ce n’est pas jeter l’argent par les fenêtres, c’est un investissement sur l’avenir. La Banque publique allemande finance l’efficacité énergétique. Or, l’Iddri a montré que, pour chaque euro financé, l’Allemagne récupère entre 2 et 4 euros.
P.R. : Beaucoup de négociateurs considèrent en effet que l’argent mis au pot est de l’argent perdu. Le problème du débat sur le financement n’est pas le manque d’argent, mais le conservatisme et le manque de culture économique des acteurs. En mai 2015, l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé qu’elle noterait dorénavant négativement les États ou les sociétés qui investissent massivement dans les combustibles fossiles. Et inversement. C’est un point de bascule.
Que peut-on attendre de la COP21 ?
P.R. : Je donnerais quatre critères. Le premier, c’est d’embarquer tous les pays et le plus d’acteurs possible. Il faut que l’humanité soit en marche après cette conférence. Et je dois dire que ce critère n’est pas loin d’être acquis. Deuxième critère : la crédibilité du plan de financement. Cette question ne fait pas partie de l’accord – c’est un texte politico-juridique, pas un texte de moyens –, mais elle est la condition pour que les pays en développement signent. Troisième point : la sincérité comptable. Pas la peine d’obtenir un accord juridiquement contraignant si chaque pays triche sur les chiffres qu’il fournit. Quatrième et dernier critère : le crantage. À la COP21, on va grimper une marche. Elle sera insuffisante. Il faut qu’à partir de Paris, tous les cinq ans, chaque pays ait l’obligation de monter une marche supplémentaire avec interdiction de redescendre, que chaque pays élève son niveau d’ambition. C’est un peu comme faire du vélo : si on s’arrête de pédaler on tombe. Il faut donc se mettre en mouvement. Encore une fois, sur une génération, d’ici 2050, c’est réellement faisable.
T.P. : Les discours ne suffisent plus, il faut passer aux actes. Par exemple, dans les années 1970, l’État français avait réorienté l’appareil de production vers le nucléaire, avec les résultats qu’on connaît aujourd’hui. Pourquoi ne ferait-il pas de même aujourd’hui sur le renouvelable ? Il faut aussi en finir avec l’hypocrisie climatique et arrêter de signer des traités, comme l’Union européenne vient de le faire avec la Corée du Sud et Singapour, qui ne comprennent aucune clause sur le climat.
C.G. : La COP21 doit remettre la communauté internationale sur le bon chemin, celui des 2°C, et pour longtemps. Le premier point serait que les États revoient leur copie d’ici 2018, car on sait que leurs engagements sont insuffisants et que dans trois ans, les énergies renouvelables seront moins chères. Par contre, on ne peut pas attendre l’entrée en vigueur de l’accord en 2020 pour les redéfinir. Le deuxième point consiste à fixer 2050 comme cap pour l’arrêt des émissions de gaz à effet de serre et le passage à 100 % d’énergies renouvelables, couplé à des économies d’énergie massives. Troisième point, la question des financements, avec l’accent sur l’adaptation. La COP ne sera pas un moment miracle. Il faudra partout continuer à travailler sur des signaux concrets. En France, l’abandon du projet d’aéroport à Notre Dame des Landes sera d’ailleurs un marqueur.
À la veille de la COP 21, l'horizon d'un réchauffement limité à 2°C est-il encore envisageable ?
Célia Gautier : Le chiffre de + 2°C n'est pas un objectif mais une limite fixée par les scientifiques. Et contrairement à ce qu'a déclaré Ségolène Royal, on peut encore rester dans cette limite. D'après le Programme des Nations unies pour l'environnement, les engagements pris par les États pour la COP21 devraient permettre de faire un peu moins de la moitié du chemin. Reste l'autre moitié à parcourir. La responsabilité incombe pour une grande part aux États et l'accord qui sera signé à Paris ne fera pas le travail à leur place. Il doit les inciter à aller plus loin et à assurer une solidarité climatique, c'est-à-dire financer la transition énergétique dans les pays en développement. Là est le rôle d'un accord onusien.
Pierre Radanne : Ce qui doit faire la différence entre les pays, ce ne sont pas les objectifs, mais la vitesse à laquelle on les atteint. La politique, ce n'est pas mégoter sur les objectifs, mais donner à chacun le temps de les réaliser, tout en allant le plus vite possible, sachant que tout le monde n'a pas les mêmes moyens. Le point qui complique le jeu, c'est qu'on doit résoudre le défi climatique et, en même temps, constituer l'acteur politique de sa prise en charge. Car, les Nations unies n'ont pas les pouvoirs nécessaires pour prendre une série de décisions. Il va donc falloir à un moment poser la question de la réforme de l'Onu et de sa fusion avec l'OMC. Les Nations unies sont le seul cénacle où on peut discuter du climat avec tout le monde. Tous les autres sont des clubs de pays riches, plus ou moins élargis (G8 et G20). Il faut enfin garder en tête que, d'un point de vue économique, une transition ne se fait jamais en ligne droite, elle adopte une courbe en S. Le démarrage est très lent. Il faut former les gens, identifier les technologies, développer l'appareil industriel, adopter les lois et les règlements, avoir des débouchés, etc. Cela prend du temps. Mais une fois que le nouveau paradigme d'organisation de la société sera devenu le standard général, les choses iront relativement vite. Nos sociétés ont la capacité de tout changer en l'espace d'une génération, d'abandonner les combustibles fossiles, auxquels on s'est habitué depuis deux siècles, pour vivre avec les énergies renouvelables. On peut tout à fait y parvenir en trente ans. À condition qu'à compter de maintenant, tout le monde prenne les bonnes décisions.
Ne fonde-t-on pas trop d'attentes sur la COP21 ?
Thomas Porcher : Les COP sont nécessaires mais pas suffisantes. Derrière les réunions multilatérales, il y a toujours des rapports de force. Il ne faut donc pas attendre un accord pour agir mais agir pour obtenir un accord. En premier lieu, il faut pointer du doigt ceux qui ont les moyens d'engager la transition mais ne le font pas. Les pays de l'OCDE, qui sont responsables des deux-tiers des émissions de CO2 au XXe siècle, ont encore près de 800 plans de subventions des énergies fossiles. Que peut-on attendre de la dixième puissance économique mondiale si les États-Unis, la première, place le climat derrière la qualité de vie de ses habitants ? Difficile de mettre la pression sur les pays émergents. Nous nous contentons aujourd'hui de faire des ajustements sur le paradigme économique dominant, alors qu'il faudrait sortir du conformisme, trouver de nouveaux indicateurs, prendre une voie différente... Les États se regardent en se disant : « Pourvu qu'ils fassent plus que moi, comme ça j'aurai moins à faire ». Rien n'avancera dans ces conditions.
Peut-on parler de crise de leadership ?
T.P. : Oui, et elle a commencé avec la non-ratification du protocole de Kyoto par les États-Unis.
C.G. : Pour limiter le réchauffement à 2°C d'ici la fin du siècle, il faut une vraie révolution dans nos systèmes de consommation et de production. Aujourd'hui, les États affichent une volonté de développer les énergies renouvelables, mais ils continuent en parallèle de faire du business as usual et de financer massivement les combustibles fossiles. Aucun pays du G8 ne va assez vite dans sa transition. Aucun ne mobilise des financements à la hauteur de sa responsabilité. Sauf peut-être l'Allemagne, et la France, dans une certaine mesure. Les pays émergents et une grande partie des plus vulnérables ont, eux, montré qu'ils étaient capables d'agir sans attendre les plus riches, qu'ils étaient prêts à se développer en sautant les étapes de pollution que nous avons tous empruntées. Les pays les moins développés ont compris que la lutte contre le changement climatique était une façon de lutter contre la pauvreté. L'Éthiopie et le Maroc tiennent ce discours. L'Inde investit massivement dans les renouvelables, même si elle continue aussi de développer le charbon. Faire changer les mentalités est aussi un enjeu en Europe, où on continue de nous dire que changer nuit à notre compétitivité.
P.R. : Il n'y a plus de leadership parmi les pays industrialisés. Dans le cadre de la préparation de la COP21, 160 pays sur 195 pays ont remis une contribution précisant leurs engagements. Or, la contribution européenne est l'une des plus mauvaises. Les États-Unis sont bloqués, dans l'incapacité totale de faire voter le Congrès, ce qui sera un vrai problème après la négociation. Que dire du Canada, du Japon ou de l'Australie ? Le paysage du côté des pays industrialisés est donc compliqué ! Les pays émergents, eux, ne sont pas encore en situation de prendre seuls la relève. En revanche, ce qui est le plus frappant, c'est effectivement la qualité des contributions des pays en développement. Au début des années 2000, ces pays considéraient que le climat était l'affaire des pays industrialisés. Puis, ils ont compris qu'ils devaient atténuer leurs émissions. Et depuis Copenhague, ils sont dans l'idée qu'ils ne sont pas tenus de passer par la case « combustible fossile » pour sortir de la pauvreté, qu'ils peuvent sauter directement à l'étape d'après, celle de l'efficacité énergétique, de la sortie de la dépendance au pétrole et de l'adaptation de l'agriculture, de l'énergie et des transports. Si ces 160 pays s'accordent à Paris pour aller dans une même direction, pour adopter un mode de développement commun, ce sera une première dans l'histoire de l'humanité. Et d'un point de vue économique, cela s'appelle un plan de relance mondial.
Qu'il faudra alors financer. Comment avance-t-on sur cette question ?
C.G. : Que ce soit pour la période qui précède l'échéance de 2020 ou celle qui suivra, se posent deux questions : la transformation de l'économie mondiale, que l'on vient d'évoquer, et le financement de l'adaptation. Aujourd'hui ceux qui paient le prix du changement climatique sont ceux qui ne l'ont pas causé. Or, l'adaptation est le parent pauvre du financement climat. Les fonds privés vont peu ou pas à l'adaptation, car il n'y a pas d'argent à se faire sur la construction d'une digue. À la COP21, il faudra s'assurer que de l'argent public, prévisible, sûr et transparent, va bien du Nord vers le Sud. Arrêter de subventionner les combustibles fossiles libérerait beaucoup d'argent, mais il faut aussi créer des sources de financement innovantes. Plusieurs propositions sont sur la table comme la taxe sur les transactions financières ou celle sur le transport international, qui est quand même le grand resquilleur du climat depuis vingt ans. Pourquoi Air France ne paierait-elle pas de taxe sur son carburant, alors que le consommateur en paie ? Certains proposent aussi que les entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre versent une contribution à un fonds voué à compenser les pertes engendrées par le changement climatique.
T.P. : En 2008, Exxon a réalisé 45 milliards de dollars de bénéfices et Total 20 milliards. Pourquoi personne n'a-t-il pensé à leur appliquer une petite taxe pour financer la transition ? Dans les années 1970, après les chocs pétroliers, c'est ce qu'ont fait les États-Unis pour lever des ressources budgétaires. Il faudrait aussi s'attaquer à l'évasion fiscale, qui chaque année fait perdre à la France des dizaines de milliards d'euros. Sur la question du financement, il faut aussi évoquer le rôle du FMI qui, en échange de prêts, impose des plans d'austérité aux pays pauvres. Le Congo Brazzaville a dû se spécialiser en fonction de son avantage comparatif, en l'occurrence le pétrole, pour obtenir des fonds destinés à lutter contre la pauvreté. Comment peut-on sérieusement parler de la COP21, si les systèmes de financement internationaux en sont encore là ? On pourrait enfin financer la transition par l'emprunt. Dans nombre de pays européens, les taux d'intérêt sont très faibles et invitent à investir. Financer la transition, ce n'est pas jeter l'argent par les fenêtres, c'est un investissement sur l'avenir. La Banque publique allemande finance l'efficacité énergétique. Or, l'Iddri a montré que, pour chaque euro financé, l'Allemagne récupère entre 2 et 4 euros.
P.R. : Beaucoup de négociateurs considèrent en effet que l'argent mis au pot est de l'argent perdu. Le problème du débat sur le financement n'est pas le manque d'argent, mais le conservatisme et le manque de culture économique des acteurs. En mai 2015, l'agence de notation Standard & Poor's a annoncé qu'elle noterait dorénavant négativement les États ou les sociétés qui investissent massivement dans les combustibles fossiles. Et inversement. C'est un point de bascule.
Que peut-on attendre de la COP21 ?
P.R. : Je donnerais quatre critères. Le premier, c'est d'embarquer tous les pays et le plus d'acteurs possible. Il faut que l'humanité soit en marche après cette conférence. Et je dois dire que ce critère n'est pas loin d'être acquis. Deuxième critère : la crédibilité du plan de financement. Cette question ne fait pas partie de l'accord – c'est un texte politico-juridique, pas un texte de moyens –, mais elle est la condition pour que les pays en développement signent. Troisième point : la sincérité comptable. Pas la peine d'obtenir un accord juridiquement contraignant si chaque pays triche sur les chiffres qu'il fournit. Quatrième et dernier critère : le crantage. À la COP21, on va grimper une marche. Elle sera insuffisante. Il faut qu'à partir de Paris, tous les cinq ans, chaque pays ait l'obligation de monter une marche supplémentaire avec interdiction de redescendre, que chaque pays élève son niveau d'ambition. C'est un peu comme faire du vélo : si on s'arrête de pédaler on tombe. Il faut donc se mettre en mouvement. Encore une fois, sur une génération, d'ici 2050, c'est réellement faisable.
T.P. : Les discours ne suffisent plus, il faut passer aux actes. Par exemple, dans les années 1970, l'État français avait réorienté l'appareil de production vers le nucléaire, avec les résultats qu'on connaît aujourd'hui. Pourquoi ne ferait-il pas de même aujourd'hui sur le renouvelable ? Il faut aussi en finir avec l'hypocrisie climatique et arrêter de signer des traités, comme l'Union européenne vient de le faire avec la Corée du Sud et Singapour, qui ne comprennent aucune clause sur le climat.
C.G. : La COP21 doit remettre la communauté internationale sur le bon chemin, celui des 2°C, et pour longtemps. Le premier point serait que les États revoient leur copie d'ici 2018, car on sait que leurs engagements sont insuffisants et que dans trois ans, les énergies renouvelables seront moins chères. Par contre, on ne peut pas attendre l'entrée en vigueur de l'accord en 2020 pour les redéfinir. Le deuxième point consiste à fixer 2050 comme cap pour l'arrêt des émissions de gaz à effet de serre et le passage à 100 % d'énergies renouvelables, couplé à des économies d'énergie massives. Troisième point, la question des financements, avec l'accent sur l'adaptation. La COP ne sera pas un moment miracle. Il faudra partout continuer à travailler sur des signaux concrets. En France, l'abandon du projet d'aéroport à Notre Dame des Landes sera d'ailleurs un marqueur.