«N'ayez pas peur», c'est sur ces paroles rassurantes, chantées en swahili, la langue vernaculaire de l'est de l'Afrique, que le pape François a fait son entrée, jeudi matin, sur l'autel éphémère dressé au cœur de l'université de Nairobi, la capitale du Kenya, qui était aussi la première étape de ce voyage pontifical de cinq jours sur le continent noir.
«N'ayez pas peur» : ce n'est pas un hasard si Jorge Bergoglio a utilisé les mêmes paroles que celles prononcées par Jean Paul II en pleine guerre froide. Car la «peur» fait bien partie du quotidien d'au moins deux des trois pays visités. Pour son premier voyage en terre africaine, le pape François n'a choisi ni la facilité ni les faux-semblants. Le Kenya, autrefois paradis touristique, est en effet devenu ces dernières années la cible d'attentats terroristes spectaculaires revendiqués par les shebab, groupe islamiste affilié à Al-Qaeda qui s'est implanté dans la Somalie voisine. Dernière en date, l'attaque sanglante de l'université de Garissa, en avril, dans laquelle 148 personnes, essentiellement des étudiants chrétiens, avaient été massacrées de sang-froid, tétanisant le pays.
«Moustiques». Dans ce contexte, la visite du pape François s'annonçait à haut risque dès cette première étape. Au Kenya, où l'on compte 7 millions de catholiques, 10 000 militaires et policiers ont ainsi été déployés sur le parcours du pape. Reste qu'en grande partie, par peur des attentats, seuls 200 000 fidèles (sur le million attendu) avaient fait le déplacement à l'université, jeudi, pour la première messe africaine du pape, qui affirmait, la veille de son départ, «craindre davantage les moustiques que les violences». François, qui se rend vendredi dans le bidonville de Kangemi, à la périphérie de Nairobi, a aussi appelé dirigeants à un meilleur partage des richesses dans un pays où la corruption des élites accentue les risques de radicalisation de la jeunesse. Une radicalisation à l'origine d'«attaques barbares» dénoncées par le pape : «Le nom de Dieu ne peut justifier la haine et la violence», a-t-il dit devant les représentants des religions kényanes - musulmans, protestants et anglicans. Les paroles du souverain pontife ont toujours un fort retentissement sur un continent qui compte 16 % des catholiques du monde et 24 % des chrétiens de la planète. Mais bien plus qu'au Kenya ou en Ouganda, deuxième halte de cette tournée, c'est à Bangui, la capitale centrafricaine, que le pape est certainement le plus attendu dimanche. Avec un espoir à la hauteur des malheurs auxquels est confronté ce pays qui était déjà surnommé sous la colonisation «la Cendrillon de l'Afrique». Pour le pape François, c'est aussi l'étape la plus périlleuse, puisqu'elle se déroule dans un pays en proie à des violences intercommunautaires récurrentes depuis 2013. Jusqu'au dernier moment, nombreux ont été ceux qui ont tenté de le dissuader de maintenir cette visite.
Grande mosquée. Parmi les plus réticents à voir le pape fouler le sol de la patrie de l'ex-empereur Bokassa, les Français étaient en première ligne. Ils connaissent, il est vrai, les dangers de ce terrain miné. Paris a déployé depuis fin 2013 une force de 1 500 hommes (ramenée à 900), sans jamais rétablir le calme au sein de ce vaste pays où la «peur» n'est pas un vain mot. Il suffit parfois de sortir boire un soda, pour croiser la mort en chemin. Comme Aliou, un musulman qui s'est rendu il y a quelques jours dans une buvette et s'est soudain retrouvé face «à des regards haineux», avant de finir «attaché, traîné par une moto vers une destination inconnue», raconte un habitant de la capitale sur Facebook. Un simple meurtre parmi d'autres à Bangui. «On avait connu une relative accalmie en 2015, et puis tout a dérapé à nouveau fin septembre avec l'assassinat d'un jeune moto-taxi musulman», regrette un expatrié contacté sur place. Les attaques et représailles feront alors 60 morts et 500 blessés.
Dans un pays totalement déstructuré et doté d'un gouvernement de transition relativement impuissant dans l'attente des élections prévues le mois prochain, les ONG se retrouvent bien seules pour gérer l'urgence. «Avec parfois la contrainte de devoir brusquement rebrousser chemin car on se trouve au milieu d'un échange de tirs inattendu», confie un humanitaire.
Comment baliser dans ces conditions le parcours du pape, qui souhaite aller à la cathédrale de Bangui, mais aussi donner une messe dans le stade municipal (avec tous les risques de débordements supposés) ? Et, surtout, se rendre à la grande mosquée du PK5. Ce quartier musulman, autrefois poumon commercial de la capitale, s'est transformé en Fort Alamo où vivent retranchés les 15 000 musulmans qui n'ont pas fui la ville. Tout autour, et notamment sur l'avenue Boganda, que doit emprunter le pape, les milices chrétiennes anti-balaka ont dressé des barricades. Mais une annulation totale de sa visite à Bangui serait perçue comme un échec par le pape, car c'est bien dans cette ville que son message aura le plus d'écho. Ne pas avoir peur ? «On espère au moins que sa venue sensibilisera le monde à notre situation désespérée», veut croire un habitant de la capitale. La peur n'interdit pas l'espoir.