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Libération
Vu de Turquie

Accusés «d'espionnage», deux journalistes turcs de «Cumhuriyet» en prison

Les protestations se multiplient contre l’arrestation de deux journalistes qui avaient publié des documents montrant des services de renseignements turcs livrant des armes aux djihadistes en Syrie.
Le directeur de «Cumhuriyet», Can Dundar, le 26 novembre, avant son procès à Istanbul. (Photo AFP)
publié le 27 novembre 2015 à 12h16

«Erdogan a donné l'ordre et le journalisme a été arrêté», titre vendredi le quotidien Cumhuriyet pour annoncer l'interpellation de son directeur de la publication, Can Dundar, et de son chef du bureau d'Ankara, Erdem Gul, accusés «d'espionnage». Les autorités leur reprochent d'avoir publié des documents et des photos de camions des services de renseignements turcs livrant des armes aux djihadistes en Syrie.

Lire aussi notre reportage du 1er novembre, qui dressait le portrait de Can Dundar: En Turquie, la presse dans le viseur d'Erdogan

Jeudi, Dundar et Gul ont été déférés devant un procureur au palais de justice d'Istanbul qui a demandé leur arrestation. Les deux responsables du quotidien sont inculpés d'«aide à une organisation terroriste, d'espionnage politique et militaire, et de révélation d'informations devant rester secrètes». Le procureur a d'ores et déjà fait savoir qu'il demanderait 20 ans de prison à l'encontre de Dundar et de Gul, incarcérés jeudi soir dans la prison de Silivri.

«C’est ainsi depuis le procès de Danton»

Les réactions et les protestations contre l'arrestation de deux journalistes se multiplient depuis jeudi soir. «Nous traversons un processus anormal et nous œuvrons pour le normaliser le plus vite possible», a dit le président de la Cour de Cassation, Ismail Rustu Cirit. Le chef du CHP (Parti Républicain du Peuple, social-démocrate), la principale formation de l'opposition, Kemal Kilicdaroglu, a déclaré dans une lettre que «les journalistes arrêtés quitteront la prison la tête haute».

Pour Dilek Dundar, épouse de Can, «les procès politiques peuvent mener à tout. Cela est ainsi depuis la Révolution Française, depuis le procès de Danton». Les deux époux auraient dû normalement célébrer jeudi le 28e anniversaire de leur mariage. La mère d'Erdem Gul, larmes aux yeux a protesté: «J'ai élevé mes trois enfants d'une façon honnête.»

«Nous, les journalistes nous ne sommes pas des fonctionnaires de l’Etat»

«C'est une médaille d'honneur pour moi et Erdem» a déclaré Can Dundar, lauréat 2015 de l'ONG Reporters Sans Frontieres. Il a expliqué en détail à la cour son rôle de journaliste: «On ne peut pas défendre l'intérêt national quand on ment. Nous, les journalistes nous ne sommes pas des fonctionnaires de l'Etat. Notre rôle est de révéler les mensonges de l'Etat. Notre information est correcte. Je ne suis ni espion, ni traître, ni membre d'une organisation terroriste. Un espion ne divulgue pas les informations qu'il obtient. M.Erdogan a dit hier "Peu importe si ces camions transféraient des armes." Il a donc confessé et a confirmé notre information. Et moi je dis alors "Peu importe si nous avons publié cette information"».

De son côté, Erdem Gul a rappelé dans sa défense que «pour le journaliste ce qui est déterminant c'est le salut, la sécurité et la paix de la société.Notre rôle est d'informer le public».

Le quotidien Cumhuriyet («République», centre gauche, 50 milles exemplaires diffusés en moyenne), avait publié le 25 mai dernier une pleine page avec des documents officiels et photos démontrant le transfert le 19 janvier 2014 par les camions des services de renseignement turc (MIT) d'armes cachées dans des boîtes de médicament  aux djihadistes en Syrie. La gendarmerie avait arrêté ces camions mais le MIT et la préfecture avaient empêché la fouille. Le Président de la République Erdogan, avait personnellement déposé une plainte contre Can Dundar et avait déclaré publiquement «que Dundar payerait cher».