Cent quarante-sept chefs d'Etat et de gouvernement qui débarquent à Paris en plein état d'urgence. Des milliers de militants interdits de manifester par un arrêté préfectoral. Le quotidien des Franciliens carrément chamboulé. Si elles n'empêchent pas la tenue de la COP 21 sur le site du Bourget du 29 novembre au 11 décembre, les mesures de sécurité prises au lendemain des attentats du 13 novembre ont de lourdes conséquences sur le climat des négociations. Même si elles n'ont pas découragé les grands de ce monde : avant les attentats, ils étaient 118 à avoir confirmé leur venue pour le lancement de la conférence. Ils sont trente de plus, et aucun «n'a annulé sa présence, bien au contraire», dit-on à l'Elysée.
Casques
La COP 21 doit accoucher d'un accord universel et contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour contenir le réchauffement climatique sous le seuil des 2 °C par rapport à l'ère préindustrielle. Xi Jinping, Barack Obama, Mohammed VI, Vladimir Poutine, Dilma Rousseff, Angela Merkel, Jacob Zuma… Les chefs d'Etat et de gouvernement du monde arrivent dimanche, pour le lancement officiel de la COP lundi matin. Après un moment de recueillement pour les victimes du 13 novembre, puis une «photo de famille», ils se succéderont à la tribune, dans deux salles différentes. Même si «on leur a demandé de faire très court, ça durera probablement jusqu'au soir», dit-on dans l'organisation de la COP 21.
A concentration de dirigeants inédite, dispositif de sécurité inédit. Pendant la conférence, les forces de l'ordre «seront sollicitées à un niveau sans précédent, tant à Paris qu'en province», indique le ministère de l'Intérieur, sachant que 120 000 policiers, gendarmes et militaires sont déjà déployés sur l'ensemble du territoire. Rien que dans la «zone de sécurisation du Bourget» - 15 communes autour de celle où auront lieu les négociations sur le climat et des manifestations ouvertes au public avec 40 000 visiteurs attendus chaque jour -, les effectifs ont été doublés : 2 800 policiers et gendarmes seront mobilisés en permanence. La zone réservée aux négociateurs, placée sous l'égide de l'ONU, comptera une centaine de Casques bleus et 300 agents de sécurité privée.
Pour «sécuriser Paris» au moment de l'arrivée des délégations étrangères, 6 300 policiers et militaires seront déployés sur le terrain dimanche et lundi - ils seront 15 600 dans toute l'Ile-de-France. Viendront s'y ajouter les services de sécurité propres à chaque pays : Barack Obama embarque dans ses valises «plusieurs centaines de membres des services de sécurité américains», indique le Monde.
Plusieurs grands axes routiers seront fermés dimanche et lundi à certaines heures en Ile-de-France pour faciliter le transit des délégations : les autoroutes A1 et A6, le périphérique ouest et certains axes du centre parisien. Les particuliers sont invités à «éviter au maximum les déplacements», surtout en voiture, et même en transports en commun, pourtant gratuits du dimanche midi au lundi minuit : la préfecture redoute l'engorgement. Les entreprises sont, elles, appelées à «reporter les livraisons non indispensables» et à «privilégier le télétravail» de leurs employés affectés par le dispositif. «Nous sommes en situation de réponse maximale par rapport à toutes les hypothèses de risque», a affirmé vendredi Michel Cadot, le préfet de police de Paris.
Huit mille policiers et gendarmes continueront à être mobilisés pour des contrôles aux frontières rétablis depuis le 13 novembre. Ceux-ci «se poursuivront aussi longtemps que la menace terroriste le nécessitera», selon le ministère de l'Intérieur.
L'arsenal de sécurité pour la COP 21 a également des impacts sur les scolaires : 300 classes qui devaient se rendre au Bourget ont dû annuler. Et l'arrêté préfectoral qui interdit les «manifestations sur la voie publique» empêche de fait la tenue de nombreuses mobilisations, comme les grandes marches prévues ce dimanche et le 12 décembre, pour la fin de la COP. Obligeant les ONG à faire preuve de créativité (lire pages 6-7).
Maraîchers
La loi sur l'état d'urgence a également permis aux autorités de serrer la vis - préventivement - dans tout un réseau militant. Et revient à mettre sur le même plan «terroristes et militants», dénoncent des voix de la société civile (lire page 5). Désormais, les perquisitions administratives et les assignations à résidence ne concernent plus seulement les personnes suspectées d'être en lien avec une entreprise terroriste. Perquisitions chez des maraîchers bio de Dordogne, assignations à résidence de militants proches des milieux zadistes, radicaux ou autonomes (lire page 4)… C'est en réalité une bonne partie du milieu associatif qui se trouve aujourd'hui sous haute tension.
Un épisode a marqué les esprits. Le 22 novembre, plusieurs centaines de personnes ont défilé à Paris, entre Bastille et République, pour apporter leur soutien aux migrants. Une manifestation en théorie interdite, mais que les forces de l'ordre n'ont pas réussi à contenir. Le lendemain, la préfecture de police transmettait au parquet les identités de 58 personnes suspectées d'avoir participé à la marche. Parmi elles, des syndicalistes, des militants du DAL (Droit au logement), etc. Elles risquent jusqu'à six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende. Une réaction «ultra-sécuritaire», selon des participants, qui s'insurgent de cet excès de zèle, et d'un certain tri entre les «bons» et les «mauvais» manifestants : «Pendant ce temps, les manifestations sportives ou culturelles continuent, les grands magasins ne sont pas fermés.» Ils accusent les autorités d'avoir puisé dans leurs fichiers pour convoquer les militants identifiés et ainsi les «intimider».
Le débat risque de resurgir dimanche, puisqu'un collectif appelle à «braver l'état d'urgence» et à défiler entre République et Nation au nom de «l'état d'urgence climatique». A la préfecture, on appelle les organisateurs de ces rassemblements à «respecter la solennité» de la place de la République, devenue après les attentats «le lieu d'accueil principal […] de recueillement dans la dignité et le respect des personnes».