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Libération
Disparition

Tahir Elçi, figure de proue modérée de la cause kurde

Le bâtonnier de Diyarbakir (sud-est de la Turquie) a été assassiné samedi lors d'une conférence de presse. Il incarnait le combat pour les droits de l’homme et la justice. Des dizaines de milliers de personnes sont attendues pour ses funérailles ce dimanche.
Le bâtonnier kurde de Diyarbakir, Tahir Elci, peu avant son assassinat, le 28 novembre. (Photo Ilyas Akengin.AFP)
publié le 29 novembre 2015 à 13h25

La conférence de presse des avocats du barreau de Diyarbakir se tenait samedi en plein cœur de la vieille ville, juste à côté de l'antique minaret, le symbole de la cité capitale du sud-est de la Turquie, peuplé en majorité de Kurdes. «Les quatre piliers du minaret représentent les diverses religions de ce pays. Nous ne voulons plus d'accrochages et de violences en ce lieu historique ; nous voulons la paix», martelait le bâtonnier Tahir Elçi, figure modérée de premier plan de la cause kurde. Ce furent ces dernières paroles. Il était un peu plus de 11 heures quand la fusillade éclata. Les caméras de sécurité, ainsi que ceux des chaînes de télévision, ont filmé en détail le déroulement de l'assassinat. Deux assaillants armés descendent d'un taxi au coin de la rue, commencent à tirer sur les policiers qui ripostent dans la confusion. Un policier est tué, un autre grièvement blessé – il décédera peu après. Tahir Elçi est atteint d'une balle en pleine tête. Les tueurs prennent la fuite. Dès l'annonce de l'assassinat, le pays est sous le choc : depuis des années, cet avocat pénaliste né en 1966 dans la petite ville de Cizré, bastion du nationalisme kurde, incarnait le combat pour les droits de l'homme et la justice et avait gagné plusieurs procès devant la Cour européenne des droits de l'homme contre l'Etat turc. Dimanche, des dizaines de milliers de personnes confluaient à Diyarbakir pour ses funérailles.

Un combattant pour le droit respecté par tous

Le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan s'est déclaré «attristé par la mort de l'avocat» et a présenté ses condoléances à sa famille comme à celle des policiers. Les autorités affirment «que le bâtonnier a pu être pris entre deux feux», mais assurent par la voix du Premier ministre, Ahmet Davutoglu, que s'il s'agit d'un assassinat, «toute la lumière serait faite», laissant entendre que l'attaque aurait été menée par les rebelles kurdes du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) qui mènent la lutte armée contre Ankara depuis 1984. Les affrontements ont repris depuis juillet dernier et l'interruption des pourparlers de paix. «Tahir a été tué par l'Etat», rétorque Ahmet Elçi, son frère, qui, comme tous les proches du batonnier, les organisations de défense des droits de l'homme et les partis d'opposition, ne croient pas à la piste du PKK. «C'est un assassinat programmé qui vise le combat pour le droit et la justice», a souligné le parti pro-kurde HDP (parti démocratique des peuples), rappelant le rôle central de ce juriste dans le combat pour la démocratie. «Vous avez tué l'un des hommes de plus grande valeur de ce pays, mais la patience de notre peuple à des limites», a martelé Osman Baydemir, l'ancien maire de Diyarbakir.

Tahir Elçi était en effet un combattant pour le droit respecté par tous, au-delà même du monde kurde, pour ses engagements et son parler vrai. Il n'hésitait pas à critiquer publiquement le PKK, notamment pour sa stratégie d'insurrections urbaines en interdisant aux forces de l'ordre l'entrée des quartiers qu'il contrôle dans les villes du Sud-Est où vivent la majorité des quelque 15 millions de Kurdes du pays. Il estimait que cela ne faisait que creuser le fossé ethnique au sein de la société turque et alimentait l'escalade de la violence. Mais il n'hésitait pas non plus à clamer haut et fort que «le PKK n'est pas une organisation terroriste […] même si certaines de ses actions sont de caractère terroriste, mais un parti politique armé qui a le soutien des masses populaires». Ces propos tenus lors d'un débat télévisé le 14 octobre lui ont valu une inculpation pour «apologie du terrorisme par voie de presse», et il risquait jusqu'à 7 ans et demi de prison. Editorialiste de renom du quotidien Radikal, lui-même inculpé pour insulte au président de la République, Cengiz Candar écrit qu'«ils ont tué Tahir Elçi presqu'exactement comme ils ont tué Hrant Dink», rappelant la figure du grand journaliste arménien de Turquie abattu en janvier 2007 à Istanbul par un chômeur ultranationaliste manipulé par certains secteurs de services secrets.