Comme si l'épais brouillard traversé en train depuis Paris, le froid mordant de novembre et les rues vides à l'arrivée à Dreux ne suffisaient pas. Chez lui, quand on commençait à se réchauffer autour d'un thé, il a fallu que Cyril Dion commence par nous parler du dérèglement climatique et de «ce moment où notre civilisation pourrait disparaître si on ne fait rien». Ambiance…
Bon. On est peut-être un peu dur. Car ce gentil barbu de 37 ans avait une bonne raison de refroidir l'atmosphère : il coréalise avec Mélanie Laurent le film Demain, qui sort mercredi, où les deux compères mettent en scène leur tour du monde à la recherche d'«initiatives positives qui commencent à transformer le monde». On les suit tantôt dans une ferme normande où la permaculture est reine, tantôt à Copenhague, la capitale danoise à fond sur les éoliennes, ou encore dans un village du sud de l'Inde devenu un modèle de mixité sociale.
Ce docu-gonzo de 118 minutes se veut «un électrochoc d'énergie et d'enthousiasme pour toucher ceux qui se préoccupent le moins de ces sujets», avec Cyril dans le rôle du prof et Mélanie en candide inquiète pour l'avenir de ses enfants. On n'est pas très loin de la réalité… Car Cyril Dion n'est pas seulement la caution écolo ou l'inconnu souriant derrière l'épaule de la star Mélanie Laurent. C'est lui qui, dès 2010, a mis toute sa colère dans l'écriture de ce film. A l'époque, il dirige l'ONG Colibris, cofondée avec l'agriculteur et essayiste Pierre Rabhi en 2007. Plus il sillonne l'Europe en quête de «ces solutions extraordinaires», moins il comprend pourquoi les politiques et les gens ne se les approprient pas. Après des discussions avec Luc Besson et la réalisatrice Coline Serreau, Cyril tombe sur Mélanie. «Elle voulait voir une initiative positive, je l'ai emmenée à la ferme du Bec Hellouin en Normandie. On s'est découvert des tas d'affinités. Et quelques jours, après je lui proposais de faire le film ensemble», raconte-t-il. Les 444 000 euros récoltés l'an dernier auprès du public, via le site KissKissBankBank, les ont confortés dans les chances de succès du projet.
Mais au-delà du pédagogue enthousiaste, Cyril Dion fait-il «sa part», comme le prône la légende du colibri (qui tente d'éteindre seul un feu de forêt) souvent reprise par Pierre Rabhi ?
Cyril Dion vit confortablement à Dreux depuis six ans avec sa femme, photographe, et ses deux enfants, dans son six-pièces avec encens dans les toilettes et un petit jardin au bout duquel coule une rivière. Il ne faut pas une minute pour se tutoyer. Marinière sur les épaules, il commence par nous montrer le potager en construction dans la maison de retraite voisine, où il passe un peu de temps. Il possède une voiture, une Clio, mais jure ne prendre que le train pour se rendre à Paris. Il nous parle des «quarante copains» qu'il s'est faits ici : le maraîcher, le restaurateur, le boulanger, l'épicier (bio) et la libraire. De sa conversion au végétarisme à la fin du tournage. Mais n'en fait pas des caisses sur sa fibre écolo. Il concède volontiers des entorses à la règle face à «une bonne viande». Ses revenus mensuels ? «4 000 euros en ce moment : des droits d'auteur pour mes livres et le scénario, mon salaire comme réalisateur du film et des conférences. Mais, en janvier il faudra que je trouve d'autres choses.» Pour l'essentiel, c'est lui qui subvient aux besoins de la famille.
L'auteur-réalisateur se décrit comme un artiste qui a «toujours inspiré confiance aux gens». Il parle sans gêne des fois où il a «pleuré toutes les larmes de [son] corps». «Il se jette dans ce qu'il fait avec une apparente sérénité. Mais il est traversé par des sensibilités, des anxiétés qui lui donnent une fragilité. C'est aussi sa force. Il est exigeant mais juste, intransigeant et doux», dit son ami Emmanuel Druon, l'un des héros de Demain.
Cyril Dion a grandi au Vésinet, un «ghetto de riches» des Yvelines. Mais à l'inverse du célèbre film tourné dans la ville, sa vie n'est pas un long fleuve tranquille. Enfant, il oscille entre famille Groseille («je détestais l'école, être enfermé là-bas sans en comprendre l'utilité») et famille Le Quesnoy («j'étais enfant de chœur jusqu'à 16 ans, j'avais peur que Dieu m'appelle»). «La drogue, les filles…» tout cela viendra juste avant le bac.
C'est au milieu de cette «adolescence tardive» qu'il se fait une promesse : «Ne jamais faire quelque chose qui ne me passionne pas. Ne pas rester dans un bureau contre mon gré ou reproduire la vie de mes parents.» Son paternel fut attaché parlementaire de Mitterrand et rêvait d'être diplomate, mais s'est reconverti dans la gestion de patrimoine. Sa mère peignait, dessinait, mais n'a pas poussé plus loin sa passion. «Je veux aller toujours au plus proche de celui que je suis. A quoi bon, sinon ?» lance-t-il calmement.
Il commence par apprendre l'art dramatique au cours Périmony, sur les traces de Sabine Azéma, Jean-Pierre Bacri et André Dussollier. Il est ensuite comédien pendant deux ans : «J'ai fait des rôles à oscar comme le complice du brocanteur dans Une femme d'honneur ou le maitre-nageur violeur dans un téléfilm», sourit-il. A l'époque, on le voit aussi gratter des tickets Star Wars pour la Française des jeux. «Je détestais attendre toute la journée sur les plateaux. Et je ne m'y retrouvais pas artistiquement.»
Il arrête et écrit deux romans. «Catastrophiques. Je les ai jetés», rit-il. Il s'initie ensuite à la médecine douce et va masser les employés de Sony et Warner Music au plus fort de la crise du disque. «Les gens se mettaient à pleurer tellement ils étaient tendus», se souvient Cyril Dion. Ça ne dure pas. On l'aperçoit ensuite à la fondation Homme de paroles, de 2003 à 2006, où il aide à monter le congrès israélo-palestinien de Caux et les premiers congrès mondiaux des imams et rabbins pour la paix, à Bruxelles, puis Séville.
On lui propose ensuite de créer Colibris, un mouvement autour des idées de Pierre Rabhi. «C'était un super défi.» En parallèle, l'hyperactif dirige aussi la collection «Domaine du possible» chez Actes Sud, crée le magazine Kaizen, commence à écrire son film, élève ses enfants… Jusqu'au burn-out, en juin 2012. «Je compensais une frustration de créativité. J'ai démissionné de Colibris et arrêté la direction du magazine.» Il écrit en ce moment un autre film et termine un roman. On s'étonne de ne pas le voir encore en politique, sachant que les Verts et Nouvelle Donne l'ont déjà approché. «Impossible. Ça me dessèche d'essayer de convaincre les gens. La politique, c'est une vie pas drôle…» Son vote, Cyril Dion le donne aux «écolos». Comme eux, il n'attend pas des miracles de la COP 21. Avec Demain, il a sans doute déjà fait sa part.
23 juillet 1978 Naissance à Poissy (Yvelines).
1996 Entrée au cours d'art dramatique Jean-Périmony à Paris.
2005 Congrès mondial des imams et rabbins pour la paix (Bruxelles).
2007 Création du mouvement Colibris.
2 décembre 2015 Sortie de Demain.