Politiquement et psychologiquement, ils pourraient être des jumeaux. La rivalité entre Vladimir Poutine et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, n'en est que plus implacable même s'ils furent longtemps fascinés l'un par l'autre. Le «tsar» et le «sultan» partagent une même conception autocratique du pouvoir, convaincus d'être chargés par Dieu de rendre à leurs pays respectifs leur splendeur passée. Ils ne supportent pas la moindre critique, exècrent leurs opposants et aiment les postures martiales flattant le nationalisme de leur électorat. Le maître du Kremlin ne pouvait donc que surréagir à la destruction d'un chasseur bombardier Su-24 par des F 16 turcs près de la frontière syrienne, et l'homme fort d'Ankara ne pouvait accepter une énième violation de l'espace aérien de son pays. Il refuse donc de s'excuser, tout en disant qu'il aurait préféré que «cet incident n'ait pas eu lieu». La destruction de l'avion a d'ailleurs été plutôt appréciée dans les ex-pays de l'Est, Baltes et Polonais en tête, las des continuelles incursions russes dans leurs cieux. L'escalade verbale - mais pas seulement puisque Moscou a décidé de sanctions économiques contre Ankara - continue. A l'ouverture de la COP 21, Poutine a refusé de rencontrer Erdogan et a relancé la polémique, accusant la Turquie d'avoir abattu l'avion «pour protéger les livraisons de pétrole de l'Etat islamique». Le président turc hurle à la calomnie et rappelle que le régime d'Al-Assad est le premier bénéficiaire de ce trafic. Moscou a encore relancé la mise en accusant directement «Erdogan et sa famille d'être impliqués dans ce commerce illégal».
Barack Obama avait sans succès essayé de calmer le jeu à Paris, craignant que l’affaire ne bloque toute lutte commune contre l’EI. Ce n’est pas seulement l’ego des deux autocrates qui est en jeu. Cette crise ne fait que mettre en évidence les intérêts diamétralement opposés de ces deux protagonistes du conflit syrien. Malgré l’engagement de Moscou de viser en priorité l’EI, l’avion russe abattu bombardait une position des rebelles modérés, l’Armée syrienne libre et leurs alliés turkmènes, aidés par la Turquie. Mais Ankara a été trop longtemps ambigu vis-à-vis des jihadistes, voire de l’EI, pour que les accusations russes ne laissent pas de trace. L’objectif principal de la propagande du Kremlin est de délégitimer tous ceux, comme la Turquie mais aussi l’Arabie Saoudite - et longtemps la France -, qui se sont engagés à fond dans le soutien à la rébellion et estiment qu’il ne peut y avoir de paix avec le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad. Même s’il souffle tour à tour le chaud et le froid sur ce sujet, le Kremlin veut d’autant moins lâcher le boucher de Damas qu’il ne voit pas pour le moment par qui le remplacer sans créer un effondrement du système tout entier au terme d’une transition politique. Mais surtout, Poutine ne veut pas créer un précédent qui pourrait faire école dans l’ex-espace soviétique, voire, un jour, en Russie même.