Henrique Capriles
Catholique et libéral, le leader de la coalition qui a remporté le scrutin de dimanche, obtient sa revanche, lui qui avait menacé la victoire de Chávez à la présidentielle de 2012, puis mis en grand danger Nicolás Maduro en 2013.
Le Vénézuélien Henrique Capriles, leader de l'opposition de droite, le 28 novembre à Santa Teresa. Photo Fernando Llano. AP
Le grand gagnant des législatives de dimanche, qui a vu l'opposition remporter la majorité parlementaire pour la première fois depuis seize ans, est Henrique Capriles, le leader de la droite. Sa formation, Primero Justicia, est devenue le premier parti d'opposition. Lui qui avait réussi à menacer l'élection de Hugo Chávez à la présidentielle de 2012, puis mis en grand danger Nicolás Maduro en 2013 (qui a succédé à ce dernier après son décès), était omniprésent dans la campagne de ces législatives et dans la victoire - la Table de l'unité démocratique (MUD), coalition d'opposition, a décroché 103 des 167 sièges du Parlement, contre 46 pour le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) du président Máduro (16 sièges restaient incertains lundi). «Aujourd'hui a triomphé le chemin que j'ai toujours proposé», a-t-il affirmé sur Twitter, en référence à l'échec des extrémistes de son camp.
«Boussole». Capriles est né dans une famille riche : son père dirige un empire médiatique et sa mère possède le principal distributeur cinématographique du pays. Il a été éduqué dans la meilleure école privée de Caracas. Mais trente ans plus tard, il a troqué le vieux costard-cravate qu'il portait comme député jusqu'aux années 2000 pour un jogging aux couleurs du drapeau national, le même qu'arborait souvent son meilleur adversaire, le défunt Chávez. Capriles assure se préoccuper du sort des plus humbles. «Ces socialistes au pouvoir se disent révolutionnaires ? Mais vous avez vu dans quelles voitures ils se déplacent ?» accuse-t-il. Lors de sa première campagne présidentielle, en 2012, il se faisait photographier dans les quartiers pauvres avec de l'eau jusqu'à la taille. Né d'une Polonaise juive, dont la famille fuyait l'Holocauste, Capriles est désormais un très fervent catholique qui perçoit la victoire comme l'aboutissement de sa «croisade personnelle». L'intensité de son regard lui a valu des accusations du gouvernement, persuadé qu'il est drogué.
A 43 ans, il séduit un public jeune, désireux de changement, et sa candidature à la présidentielle de 2019 ne fait presque aucun doute. Mais pour les «révolutionnaires», Henrique Capriles n'est pas seulement un «bourgeois», c'est aussi un «fasciste» impliqué dans le coup d'Etat du 11 avril 2002 contre Chávez. La confrontation avec Nicolás Maduro, qui l'avait traité de «gros pédé» en 2012, promet. Mais quelle forme va prendre cette cohabitation qui peut durer plus de trois ans alors que le PSUV garde la majorité des régions et des villes et dispose toujours d'un parti bien organisé ? Elle devrait déjà introduire un peu de démocratie. Comme le dit Julio Borges, une des figures historiques de l'opposition qui avait été frappé en 2013 dans l'enceinte de l'Assemblée sous les yeux d'un président du Parlement apathique : «Le Venezuela a vaincu par le vote démocratique un régime qui ne l'est pas !»
Outre la rénovation de la direction de l'Assemblée, la coalition va pouvoir se prononcer sur le futur budget, réclamer des comptes sur la gestion ou sur la corruption, interpeller des ministres, etc. Pour rassurer les révolutionnaires au pouvoir, le secrétaire général de la MUD, Jesus «Chuo» Torrealba, a déclaré : «Nous ne poursuivrons pas ceux qui pensent différemment, la Constitution sera notre boussole commune.» Cet ex-militant communiste affirme que les «œuvres sociales» de la révolution ne seront pas démantelées, mais le gouvernement n'y croit pas. Car la MUD a proposé de «tout changer», avec un programme social et économique très flou, fortement teinté de néolibéralisme. La première mesure des députés d'opposition, lorsqu'ils prendront officiellement leurs fonctions le 5 janvier, sera vraisemblablement de déposer un projet de loi d'amnistie des «prisonniers politiques», dont profiterait notamment Leopoldo López. Ce riche héritier, leader du parti d'extrême droite Voluntad Popular, a été condamné l'an dernier à treize ans de prison pour «incitation à la violence». En février 2014, il avait appelé le peuple à «prendre la rue» pour renverser le gouvernement, ce qui avait entraîné des manifestations ayant causé la mort de 43 personnes.
«Colombe». «Leopoldo López a réussi à imposer une image de martyr de la révolution au moment de son arrestation, debout sur la statue d'un des pères de la nation, vêtu tout en blanc, une colombe à la main», commente la sociologue des médias Maryclen Stelling. La compagne de López, la championne de kite-surf Lilian Tintori, a fait une campagne internationale intensive pour sa libération, s'affichant dernièrement au côté du Premier ministre français.
«L'affrontement sera féroce, mais ce Parlement doit aussi renouer avec le dialogue. Bien sûr, ce ne sera pas une assemblée suisse ou norvégienne, nous allons nous battre pour chaque petite avancée», assure Miguel Pizarro, réélu dans sa circonscription de Caracas. Ce député de 27 ans, élu pour la première fois à 21 ans, représente la nouvelle génération très combative. Il s'est fait connaître en 2007 en prenant la tête du mouvement étudiant contre la fermeture de la chaîne d'opposition RCTV, tout comme Freddy Guevara. Ce dernier, virulent contre «la dictature», va affronter dans l'hémicycle la méfiance du camp socialiste. «Attention Freddy, on sait. Le 6 décembre à 6 heures avec 6 personnes, on les connaît, tes plans déstabilisateurs», avait prévenu dimanche le président de l'Assemblée.
Nicolás Maduro
Moqué même au sein de son parti pour ses dérapages, le président vénézuélien a très vite perdu sa crédibilité depuis son accession au pouvoir en 2013.
Le président Maduro acclamé par ses partisans alors qu’il se rend à son bureau de vote, dimanche, à Caracas. Photo Alejandro Cegarra. AP
«C'est une défaite pour la révolution», a annoncé dépité le président vénézuélien de gauche, Nicolás Maduro, face à l'échec du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) aux élections législatives de dimanche. Le révolutionnaire a fait référence à un revers «pour l'instant», selon la fameuse expression lancée par son prédécesseur Hugo Chávez après le coup d'Etat manqué de 1992. Alors que son mentor est décédé depuis presque trois ans et qu'il plafonne dans les sondages à 25 % d'opinions positives, le Président n'arrive pas à se défaire de l'ombre du «géant de la patrie».
«Même mort, Hugo Chávez est deux fois plus apprécié que Maduro par la population. La chaîne d'Etat VTV diffuse des discours de Chávez depuis un mois, pas de l'actuel président du PSUV», explique la sociologue des médias Maryclen Stelling. «Le 6 décembre, c'est Chávez qui gagne !» avait d'ailleurs l'habitude de répéter Nicolás Maduro durant la campagne. «Il n'était pas prêt pour recevoir le poids énorme de cet héritage», explique pour sa part Freddy Bernal, ancien maire de Caracas et ami d'enfance du Président. En le désignant comme son dauphin, Hugo Chávez n'a pas fait un cadeau à son ministre des Affaires étrangères. Jeté en pleine lumière, fragilisé d'emblée par un recours de l'opposition contestant sa victoire en avril 2013, l'ancien homme de l'ombre s'est emmêlé les pinceaux et a rapidement perdu en crédibilité.
«Pénis». Nicolás Maduro a commencé son mandat en assurant que le cancer du défunt leader révolutionnaire avait été inoculé par des agents de l'empire américain, ce qui a fait rire jusqu'aux socialistes, lesquels ont commencé à se moquer sous le manteau. Non content de faire montre d'une géographie approximative, l'austère et peu charismatique Nicolás Maduro a depuis enchaîné ce genre d'énormités : «Nous nous multiplierons comme le Christ a multiplié les pénis… Pardon, les pains [penes et panes, en espagnol, ndlr].»
Le dicton «Maduro, mas burro» («plus âne») fait mouche sur les réseaux sociaux. Les «clowneries de Maduro» sont l'objet de plusieurs sites internet et de diverses chaînes YouTube. Dernière en date : le président vénézuélien a promis pendant la campagne de se raser la moustache si la révolution n'arrivait pas à atteindre le million de logements sociaux construits avant la fin de l'année. Début décembre, le chiffre tournait autour de 880 000…
Hésitant, parfois peu cohérent, générant moins de confiance que le lieutenant-colonel Chávez, Nicolás Maduro a rapidement perdu ses principaux soutiens et se retrouve isolé au sein même de son parti. «Le Président s'est également montré inactif face à la crise économique», selon l'économiste Rafael Macquae. Il n'a jamais eu le courage d'augmenter les prix de l'essence à la pompe, comme il l'avait promis, ou de remettre en cause le taux de change fixe.
«Maduro croit qu'il est Chávez alors qu'il en est la pire des imitations. C'est la principale erreur qu'il a commise depuis la première minute», a déclaré récemment Henrique Capriles, le leader de l'opposition. Selon Maryclen Stelling, «la gestuelle, l'humour, l'agressivité, rien n'a le même impact. La seule histoire qu'il a essayé de raconter - Chávez lui serait apparu sous la forme d'un petit oiseau - s'est retournée contre lui. Tout ce que disait ce dernier était parole sainte, Maduro non». Maigre consolation, l'ancien syndicaliste a réussi à imposer son image de «président ouvrier» en surfant sur son expérience de deux ans comme chauffeur de bus. «On a beau jeu de tomber sur Maduro, mais il n'est pas coupable de tout», nuance Rafael Macquae. L'analyste rappelle que les prémices de la crise économique remontent à 2010, alors que Chávez était encore au pouvoir : «Il avait dépensé des fortunes pour sa dernière élection, en 2012, afin d'affronter un mécontentement grandissant. L'inflation commençait déjà à s'emballer, les entreprises expropriées étaient déjà en échec et les militaires corrompus déjà en place.»
Show. Nicolás Maduro se défend en se disant victime d'une «guerre économique et médiatique» destinée à déstabiliser la révolution, laquelle aurait connu son climax en février 2014, lors de violentes manifestations qui firent 43 morts. «Le président Maduro a affronté une situation difficile, personne n'était prêt pour cette crise», convient l'ex-ministre socialiste Ana Elisa Osorio, qui a réclamé la semaine dernière la démission du cabinet Maduro en cas de défaite.
«Sans grande légitimité populaire, il va avoir du mal à défendre la révolution face à un Parlement de droite et devra utiliser ses talents de négociateur»,explique Simon Gomez, professeur de droit. Dimanche, ce n'est pas Nicolás Maduro mais bien Diosdado Cabello, président de l'Assemblée nationale et homme fort du régime socialiste, qui faisait le show toute la journée devant les journalistes et sur les réseaux sociaux.