Chaque jour, 75 000 personnes franchissent le pont de 7,8 km qui enjambe le détroit de l’Öresund, reliant la capitale danoise, Copenhague, à Malmö, la troisième ville de Suède. Plus de 15 000 font l’aller-retour quotidiennement pour le travail. Et 2 milliards de couronnes (216 millions d’euros) de marchandises franchissent la frontière. Pourtant, il y a quelques jours encore, le gouvernement suédois, composé des Verts et des sociaux-démocrates, était prêt à fermer le pont pour une durée allant jusqu’à deux mois. Un signe de la panique qui a gagné ces dernières semaines le royaume scandinave face à l’afflux des réfugiés qui semblait ne plus vouloir tarir.
Pour Stockholm, c’était une question de principe. On rappelait l’histoire : les milliers de Hongrois accueillis dans les années 50, puis les Tchèques et les Polonais en 1968, les Chiliens fuyant la dictature de Pinochet dans les années 70, les Iraniens et les Irakiens la décennie suivante, et les Yougoslaves il y a une vingtaine d’années. En maintenant ses frontières ouvertes, la Suède espérait donner l’exemple. Inspirer ses voisins européens à en faire autant pour résoudre la crise, et le faire ensemble. Le message d’ouverture, prononcé par la chancelière allemande, Angela Merkel, avait redonné espoir au gouvernement suédois. Sauf que les autres pays européens n’ont pas suivi. Le royaume scandinave, avec ses presque 10 millions d’habitants, s’est ainsi retrouvé seul, avec plus de 10 000 demandeurs d’asile franchissant ses frontières chaque semaine. Quelque 150 000 au total sur les onze derniers mois. En proportion, c’est comme si la France en avait accueilli un million.
Le gouvernement a tenu aussi longtemps qu’il pouvait - malgré les critiques de plus en plus bruyantes de la droite et de l’extrême droite. Jusqu’à ce que la situation devienne intenable : des familles, dormant à même le sol, dans les centres d’accueil ; des mineurs non accompagnés qui disparaissaient dans la nature avant d’être enregistrés ; et une ministre des Finances désespérée, qui devait annoncer chaque semaine de nouvelles restrictions budgétaires pour financer l’accueil.
Le coup de massue est tombé le 24 novembre : le Premier ministre, Stefan Löfven, flanqué d’une porte-parole des Verts étouffant ses sanglots, a annoncé que la Suède jetait l’éponge et s’alignait sur le moins-disant européen. La seule façon, selon Löfven, de forcer les autres à prendre enfin leurs responsabilités. Autre signe de la panique ambiante : le 18 novembre, les services de renseignement ont relevé le niveau d’alerte, craignant une attaque terroriste commise par un homme ayant emprunté la route des migrants - un suspect a finalement été arrêté, avant d’être blanchi. Si le gouvernement semble avoir pour le moment renoncé à fermer le pont de l’Öresund, les demandeurs d’asile n’ayant pas de papier d’identité ne seront plus autorisés à entrer en Suède à partir de début janvier.