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COP 21

Les îles disertes

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Premiers concernés par le réchauffement, les petits Etats insulaires, qui réclament que le plafond des 2° C soit abaissé à 1,5° C, pèsent lourd dans les négociations au Bourget.
Sur les îles Carteret, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en mai 2013. Leurs terres rendues incultivables par la montée des eaux, les habitants se rabattent sur les algues. (Photo Kadir Van Lohuizen. NOOR)
publié le 9 décembre 2015 à 19h26

«Ce ne sont pas les îles qui ont déréglé la planète, mais ce sont elles qui en subissent de plein fouet les conséquences. Nous plaidons pour que les pollueurs reconnaissent que nous avons besoin d'un traitement spécifique et différencié.» Dans les travées de la COP 21, le Mauricien Jean-Claude de l'Estrac résume la position des petits Etats insulaires. Peu peuplés, souvent pauvres et isolés, ils représentent moins de 1 % de la population mondiale, mais pèsent lourd dans les négociations, où chaque Etat vaut une voix.

Sur les 195 pays signataires de la convention climat, l'ONU identifie «environ 40 petits Etats insulaires en développement» (Sids). De son côté, l'Alliance des petits Etats insulaires (Aosis) regroupe 44 Etats, y compris des «pays côtiers de faible altitude», comme le Guyana ou la Guinée-Bissau. Elle réclame que le réchauffement climatique soit limité à 1,5° C, et non 2° C, que les 100 milliards de dollars par an promis aux pays en développement soient effectivement versés, qu'un mécanisme de compensation des pertes et préjudices soit mis en place et que des aides financières supplémentaires soient prévues pour les îles.

«Une nébuleuse»

Il existe d'autres associations d'îles, sur des critères géographiques ou linguistiques, comme la Communauté des Caraïbes ou le Forum des îles du Pacifique. Jean-Claude de l'Estrac déplore que la représentation insulaire soit «une nébuleuse» : «On est solidaires, on fait bloc dans les grandes conférences, mais on n'est pas très efficaces.» Lui-même est secrétaire général de la Commission de l'océan Indien (COI), qui agrège Madagascar, les Comores, les Seychelles, Maurice et le département français de la Réunion, et représente 25 millions d'habitants, principalement malgaches. Il rappelle que l'océan Indien est depuis toujours touché par des catastrophes naturelles : «Nous étions persuadés que nous avions pris la mesure des choses. Mais nous avons découvert que nous n'avions encore rien vu.» La COI travaille notamment sur l'anticipation des catastrophes, comme les éboulements ou raz-de-marée, grâce à la collecte d'informations. «Nous avons la capacité d'atténuer les conséquences des catastrophes prévisibles. Nous avons reçu 300 projets d'adaptation au changement climatique, comme le déplacement des populations des zones côtières, la gestion de l'érosion, le réaménagement du territoire. Mais ils se chiffrent à 40 millions d'euros, et nous n'avons que 5 millions de budget. Les besoins sont immenses, mais nous sommes dans l'action, pas dans le discours victimaire.»

Quand il est question des îles, les images toutes faites sont légion. En premier lieu, leur disparition annoncée. Même les affiches de la COI, punaisées sur le pavillon de l'Aosis, clament : «En 2090, avec une hausse de température de 2,8°C à 3,8°C, le niveau des océans pourrait monter de 56 cm et les îles de l'océan Indien disparaître.» Sachant que les Seychelles et Maurice flirtent avec les 900 mètres d'altitude, et que Madagascar, la Réunion et les Comores survolent, elles, allègrement les 2000 mètres, leur submersion n'est pas pour demain. Même pour les atolls à fleur d'océan, le raisonnement n'est pas si simple. D'une part, les récifs et les îles s'adaptent naturellement à la montée des eaux, certains s'érodant, d'autres s'agrandissant, notamment par le jeu des dépôts de sédiments, et chaque cas est particulier. D'autre part, des aménagements peuvent retarder les effets de la hausse du niveau de la mer (endiguement, construction…). A condition d'en avoir les moyens.

Inondations et glissements de terrain

Cette menace d'engloutissement, agitée parfois comme argument touristique, cache paradoxalement les problèmes réels et immédiats. L'aggravation et la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes (pluies, sécheresses, cyclones) génèrent des inondations et des glissements de terrain meurtriers, compromettent les récoltes et la pêche, détruisent les infrastructures, augmentent l'érosion, abîment les réserves d'eau potable, salinisent les terres agricoles et obligent les plus pauvres à déménager. Sachant que, pour une catastrophe naturelle d'ampleur égale, le nombre de victimes et les dommages sont bien plus importants au Sud qu'au Nord, seules des aides financières et technologiques permettant de prévoir et de réagir aux désastres pourront corriger les injustices liées au développement. «Sainte-Lucie n'émet que 0,0015 % des émissions globales de gaz à effet de serre», a rappelé mardi James Fletcher, ministre de l'Energie de ce petit Etat des Antilles.

«Une complète hypocrisie ?»

Victimes, les îles ne sont pas toutes pour autant des pays vertueux. Singapour, membre de l'Aosis, était ainsi classé en 2014 par le WWF septième pays le plus pollueur de la planète, proportionnellement à sa population. Et le gouvernement des Maldives est très critiqué pour sa piètre politique environnementale. «Ils président l'Aosis parce que c'était leur tour, mais ils ne sont pas très impliqués, et même un peu ostracisés», déplore un membre de l'alliance. Un site d'information maldivien fait sa une sur «Les Maldives et le climat, une complète hypocrisie ?» rappelant que l'Etat a relancé les forages à la recherche de gisements de gaz et de pétrole, promesse de campagne du président Yameen en 2013. Thoriq Ibrahim, ministre de l'Environnement qui représente l'archipel à la COP, élude : «Tout pays a le droit de savoir de quelles ressources naturelles il dispose. Bien sûr, si nous arrivons à développer des énergies renouvelables accessibles à tous et suffisantes pour notre développement, nous choisirons cette alternative. Nous n'avons pas encore commencé à pomper.» Sur son site, la Maldives National Oil Company veut «participer au business de l'énergie» via «l'exploration et l'exploitation de pétrole et de gaz naturel aux Maldives et à l'étranger».

Une position inconfortable très marginale au sein des Etats insulaires, qui réclament l’abandon des énergies fossiles. Pour faire entendre clairement leur voix, un autre groupe s’est créé, le Forum des pays vulnérables (CVF), où siègent des îles très engagées dans la lutte pour le climat, comme les Kiribati (Pacifique) ou Tuvalu (Polynésie), mais aussi le Rwanda ou l’Afghanistan. Présidé par les Philippines, le CVF milite pour 100 % d’énergies renouvelables et zéro émission carbone d’ici à 2050.

Preuve que la voix des pays les plus fragiles commence à être entendue, l'objectif du plafond de 1,5° C de réchauffement maximal, qui semblait très lointain il y a quelques semaines encore, pourrait figurer dans le texte de l'accord de Paris vendredi - sans pour autant être accompagné des moyens pour l'atteindre. Et le pape lui-même pourrait faire cette semaine une déclaration en ce sens. «Si la COP peut sauver les petites îles, elle peut sauver le monde», conclut, lyrique, le ministre maldivien.