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Interview

Climat : «Une image peut raconter plus de choses que des longs discours»

COP21dossier
Les artistes s'intéressent de plus en plus à l'écologie et peuvent contribuer à changer notre imaginaire, donc la société, estime la directrice de l'association COAL. Celle-ci est à l’origine d’ArtCOP21, une plate-forme regroupant des événements artistiques en marge de la COP21.
publié le 10 décembre 2015 à 11h27

Lauranne Germond est commissaire d'exposition et directrice de COAL, Coalition pour l'art et le développement durable, qu'elle a cofondée en 2008. Cette association est à l'origine d'ArtCOP21, un programme d'actions destinés à «porter la voix de la culture» sur les enjeux climatiques et environnementaux à l'occasion de la COP21. En tout, pas moins de 560 manifestations culturelles sont inscrites à l'agenda d'ArtCOP21 dans 53 pays entre septembre et fin décembre. Dont 160 à Paris pendant les dix jours de la conférence climat elle-même, du Palais de Tokyo au Centre Pompidou en passant par la Villette, la Gaîté Lyrique ou le Jardin des plantes.

Comment les artistes peuvent-ils contribuer à sensibiliser au défi complexe du changement climatique ?

De plusieurs manières. II y a d'abord l'expérience esthétique. C'est le cas des morceaux d'icebergs d'Olafur Eliasson qui fondent devant le Panthéon. Ou de l'œuvre de Mickael Pinsky à la Villette, qui expose à la surface de l'eau des objets sortis du canal de l'Ourcq. Les moyens sont simples, c'est ludique, cela parle à tout le monde, rend visible des pollutions imperceptibles. Et cela a énormément de succès. Une image peut raconter plus de choses que des longs discours, en s'adressant à la sensibilité, à l'émotion.

Au-delà, les artistes, et la création au sens large, construisent l'imaginaire collectif, travaillent sur les représentations, les récits, inventent de nouveaux modèles, de nouvelles façons de produire, d'être ensemble. En offrant la possibilité d'expérimenter d'autres rapports au monde et à la nature, ils contribuent à transformer la société, notamment à l'échelle de la ville et des territoires.

Le grand public ne les connaît pas, pourtant.

Il faut savoir de quels artistes on parle. Il y a des artistes du show-biz, de la chanson, qui utilisent leur notoriété pour porter un message sur le climat et les enjeux environnementaux. Côté arts plastiques, de nombreuses scènes se côtoient, qui n'ont pas toutes la même visibilité. Mais globalement, en France en particulier, il existe un important réseau, un tissu de résidences, notamment en zone rurale, qui fait que de plus en plus d'artistes abordent ces enjeux. Ils développent de nouvelles démarches, systémiques, en lien avec un territoire, un contexte, une communauté… Mais il est vrai que ces pratiques restent discrètes et que l'artiste plasticien le plus connu aujourd'hui, c'est plutôt Jeff Koons.

Il ne véhicule pas vraiment un modèle de société écolo…

Non. Et quoi qu'on dise, le fait de l'inviter à exposer dans les plus grandes institutions, c'est aussi un choix politique, qui façonne notre imaginaire.

Que Jeff Koons soit ainsi mis en avant, cela ne fait-il pas que refléter la société telle qu’elle est ?

Oui bien sûr. Jeff Koons est porté parce qu'il incarne notre société, et il influence celle-ci en retour… L'art construit notre vision du monde et inversement. Cela pose donc la question du choix des artistes qu'on promeut. Les artistes engagés en faveur de l'environnement sont là, et ils ont un pouvoir de transformation positif.

Après, ils bénéficient peu de relais institutionnels et médiatiques, c’est cela ?

De manière générale, les arts plastiques sont assez confidentiels. On me demande souvent qui sont les grands artistes connus travaillant sur l'environnement. Mais qui sont les grands artistes plasticiens connus tout court ? Les gens citeront Buren. Ou encore Jeff Koons et Takashi Murakami, qui collaborent avec des grandes marques. Si on cherche des grands noms d'artistes plasticiens engagés, ce sera Olafur Eliasson ou Tomas Saraceno, mais ils restent eux-mêmes très peu connus du grand public.

Parce qu'il n'y a pas d'industrie dans les arts plastiques. C'est une somme de créateurs qui travaillent à leur échelle, mènent des actions singulières, à taille humaine et souvent avec des économies extrêmement précaires. Chacun met en œuvre des micro-utopies, des micro-expérimentations, qui ensemble forment un tissu d'une grande richesse. C'est aussi une des raisons pour lesquelles nous avons conçu ArtCOP21, pour fédérer et rendre visible cette scène artistique, structurer un réseau, soutenir les artistes et faire connaître le travail précieux qu'ils réalisent.

Pouvez-vous donner quelques exemples d’artistes formant ce tissu, au-delà des «stars» ?

Il y en a beaucoup. Parmi ceux qui travaillent pour la COP21, il y a par exemple Olivier Darné, qui collabore en ce moment avec Thierry Boutonnier et sont tous deux des lauréats du prix COAL. Ces artistes ont souvent plusieurs casquettes. Olivier Darné est apiculteur, il a commencé en créant Miel Béton, dans une cinquantaine de ruches posées sur les toits de la mairie de Saint-Denis il y a une quinzaine d'années. Un très beau projet de terrain, généreux, qui joue sur la sémantique des banques pour parler d'enrichissement, de valeur rapportée au vivant avec par exemple les comptes épargne-abeille… Cette année, il a créé la République Forestière, qui interpelle sur la question de l'arbre comme sujet et vise à planter collectivement une forêt citoyenne sur les zones inconstructibles de Plaine commune.

Planter des arbres, beaucoup d’associations environnementales le font…

Oui, mais l'art donne la capacité d'explorer des possibilités, de faire l'expérience d'une utopie. Thierry Boutonnier a monté un très beau projet de pépinière urbaine, Prenez Racine : les habitants ont choisi les arbres qui allaient être plantés dans leur cité HLM en périphérie de Lyon. Une action qui paraît simple mais s'est avérée être un vrai parcours du combattant. L'artiste permet aussi de déjouer les règles et de mettre en évidence les contradictions de nos organisations sociales. Ces œuvres peuvent être difficiles à cerner parce qu'elles se jouent dans des temporalités longues, qu'elles ne produisent pas ou peu d'objets. Le matériau qu'elles sculptent, c'est le vivant, les formes qui régissent la société, les flux qui gouvernent les systèmes.

Ces nouvelles pratiques artistiques sont-elles de mieux de mieux reconnues, tout de même ?

Oui. En 2008, quand nous avons créé COAL, ces liens entre art et écologie suscitaient l'incompréhension. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Lorsqu'on a lancé ArtCOP21, tout le monde a participé, joué le jeu. L'énergie du changement est là, le tissu s'enrichit, beaucoup de choses germent partout, il y a énormément d'envies. Et des rigidités commencent à éclater, par exemple pour ce qui concerne la porosité entre les disciplines. Il ne manque pas grand-chose pour que cela bascule.

De quoi peser sur les décideurs, y compris – rêvons un peu – pendant cette COP21 ?

Les artistes ne changeront pas le monde tous seuls, mais ils y contribuent au côté de tous les autres acteurs de la société civile. On peut espérer que cet écho commun influence les politiques au sens large et les négociateurs en particulier. Et j'ai bon espoir que les artistes, pas forcément pile aujourd'hui lors de la COP21, mais progressivement, influencent l'imaginaire de chacun et donnent envie de changer les choses dans la bonne direction. C'est un travail au long cours.