A moins d'un ultime rebondissement, la fumée blanche devrait sortir ce samedi du Bourget. Un accord d'une vingtaine de pages, censé contenir le réchauffement climatique mondial. Beaucoup d'ONG et de pays vulnérables redoutent son manque d'ambition pour sauver l'humanité du naufrage. Une impulsion, au mieux ? Ou le début de quelque chose de prometteur ? «Un moment crucial pour galvaniser les efforts dans le monde entier», a déjà vanté vendredi le «G2», les présidents américain et chinois, à la fois moteur et frein dans la négociation. «Le moment est là, mais il va falloir beaucoup pour que ce moment arrive», lâchait mercredi Todd Stern, le négociateur américain.
Les nuits blanches, la fatigue, les ambitions revues à la baisse ont bien entamé les espoirs de grands soirs. «Jusqu'ici, on avait les outils pour traiter une bronchite. Désormais, il va nous falloir les outils pour traiter un cancer généralisé», confiait, un rien amer, Nicolas Hulot, le conseiller climat de François Hollande. Et de prévenir : «Si les chefs d'Etat n'ouvrent pas le chemin, attention que les peuples ne se fraient eux-mêmes la voie. Attention que le fatalisme des uns ne provoque le fanatisme des autres.»
Jusqu’au bout, la présidence française a tenté de ne pas, simplement, sceller un compromis. L’accord sera historique, s’il voit le jour, au moins sur un point. Jamais 195 Etats (plus l’Union européenne) n’ont apposé leur signature autour d’un seul mot d’ordre : tenter de faire face à l’état d’urgence climatique.
Les mots du désaccord
«Indaba»
Ce terme zoulou, qui décrit des réunions entre chefs de communauté pour apprendre à se connaître et à avancer, sans préjugés ni barrières protocolaires, est entré dans le jargon lors de la COP de Durban, en 2011. C'est un clin d'œil à cette conférence sud-africaine de laquelle a émergé l'idée d'un accord, en 2015, universel et contraignant. C'est également un hommage à l'Afrique du Sud, dont l'ambassadrice, Nozipho Mxakato-Diseko, préside cette année le puissant G77 + Chine, qui représente 134 pays en développement. «L'expression est revenue tout naturellement dans nos discussions cette semaine», explique la présidence française. Au Bourget, les réunions «format «indaba»» désignent ces échanges informels, à huis clos, avec seulement les chefs de délégation et deux membres de chaque pays. Laurent Fabius a appelé la réunion de la nuit de jeudi à vendredi, qui devait aboutir sur le texte final, «l'indaba des solutions». Elle n'a pas tenu ses promesses.
Neutralité
C'est la bataille de l'objectif de long terme. Jusqu'ici sur la table ? Des propositions de réduction d'émissions de gaz à effet de serre (GES) chiffrées d'ici 2050 ou des formules plus floues comme la «neutralité climatique», qui ont fait bondir les ONG. Dans la version de jeudi, nouvelle proposition : il est question de «neutralité des émissions de GES». Une expression plus ambitieuse que «neutralité carbone», car elle désigne tous les gaz à effet de serre, et non pas seulement le CO2. Mais on reste bien loin de l'objectif demandé par la société civile : la sortie des fossiles, et le 100 % renouvelables dès 2050. Une perspective à laquelle s'opposent les pays pétroliers et charbonniers. La «neutralité des GES» permet aussi de faire rêver les apôtres de géo-ingénierie (stockage ou la séquestration carbone).
Différenciation
C'est le casse-tête historique. Résumable ainsi depuis le sommet de la Terre, en 1992, à Rio : «Etant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l'environnement mondial, les Etats ont des responsabilités communes mais différenciées.» D'un côté, les pays riches, pollueurs historiques. De l'autre, les pays en développement. A Paris, les premiers reconnaissent leur responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre (GES). Hollande a parlé pour la première fois de «dette écologique». Mais les pays industrialisés, comme l'a rappelé mercredi John Kerry, le secrétaire d'Etat américain, militent pour que les grands émergents, à commencer par la Chine, premier pollueur, s'engagent davantage. «Un accord durable ne peut pas être élaboré en diluant les responsabilités historiques et en mettant les pollueurs et les victimes sur le même plan», a répété le ministre indien de l'Environnement. Les grands émergents veulent bien aider, mais sur la base du volontariat.
1,5°C ou 2°C ?
A chaque nouvelle version du texte, c'est le premier élément qu'on regarde : l'objectif du 1,5°C y figure-t-il ? La limite du réchauffement par rapport à l'ère préindustrielle, fixée à 2°C depuis Copenhague en 2009, mesure l'ambition de l'accord. Un peu à tort : quel intérêt de fixer un tel objectif, alors qu'on en est déjà à près de 1°C d'augmentation, sans s'en donner les moyens ? Les 185 contributions des Etats proposent des réductions de gaz à effet de serre qui mettent la planète sur une trajectoire d'au moins + 3°C… Deux camps s'opposent sur le 1,5°C. D'un côté, les pays pétroliers férocement contre ; de l'autre, près de 130 Etats en sa faveur. «Ce 1,5°C, ce serait le Graal de Fabius», dit un délégué. Le dernier brouillon était mi-chèvre mi-chou, avec l'objectif de rester «bien en deçà de 2°C» tout en proposant «de poursuivre les efforts»pour limiter l'augmentation à 1,5°C.
Contraignant
L'accord sera «contraignant», a répété la présidence française. La conférence de Durban, en 2011, donnait mandat d'aboutir à un «protocole, à un instrument juridique ou à un résultat ayant force de loi», qui doit être ratifié par les Parlements des 195 pays signataires de la convention climat de l'ONU.
Problème : l'accord ne passera pas au Congrès américain, à majorité républicaine et climatosceptique. Comment louvoyer pour que ce texte permette néanmoins des avancées ? Un accord sans les Etats-Unis, deuxième pollueur mondial, n'aurait pas de sens. Le texte sera donc «partiellement contraignant», comme l'affirment les Américains. Certains articles engageront les Etats, les autres seront des incitations. Pour Pierre Radanne, vieux routier des négociations, «on n'aura pas un accord juridiquement contraignant, mais politiquement contraignant».
Compensation
Ce terme inflammable désigne les réparations des «pertes et préjudices» économiques subis par les pays en développement après des événements extrêmes (typhons, inondations exceptionnelles) ou à plus long terme (désertification, acidification des océans). Entrées dans les négociations il y a deux ans lors de la COP de Varsovie, elles ont longtemps fait l'objet d'un tir de barrage des pays développés, en premier lieu des Etats-Unis, qui redoutent une facture salée. «Mais Obama a bien compris qu'il n'y aurait pas d'accord à Paris sans lâcher un minimum de lest», reconnaît Alden Meyer, de l'Union of Concerned Scientists. Un minimum. Il y avait vendredi soir toujours deux options sur la table. L'une assez succincte et faiblarde. L'autre reconnaît l'importance de ces pertes et préjudices, mais exclut ce principe de compensation. D'où les questions encore ouvertes, auxquelles ne répondra pas l'accord : qui, quand, comment indemniser ? «Les Etats-Unis ont moins de problème avec les compensations et les réparations quand il s'agit d'accords commerciaux, de propriété privée ou de propriété intellectuelle», s'agace Oxfam.