«Un accord contraignant et à vocation universelle est déjà un véritable succès»
Evaluer un texte d'accord mondial sur le climat n'est jamais aisé, tant les phrases sont parfois ambiguës ou les objectifs évasifs, l'ensemble étant le fruit d'un compromis complexe entre intérêts nationaux contradictoires, lectures géopolitiques antagonistes. Mais à un moment, il faut savoir trancher: l'accord va-t-il dans le bon sens, ou au contraire, nous éloigne-t-il de l'impérieuse nécessité de stabiliser largement sous les 2°C la montée des températures? Ma réponse est claire: oui cet accord de Paris est un réel progrès, sur lequel nous devons appuyer nos dynamiques d'action. Pour 5 raisons.
1. L’affichage d’un consensus international
On peut parfois ironiser sur l’intérêt de ces grandes messes mondiales et de la déclaration qui s’ensuit. Mais pour ceux qui doutent de leur utilité, il suffit de voir l’énergie déployée par certaines délégations pour enlever des objectifs et des mots symboliques pour se douter qu’elles portent quand même un véritable enjeu. Aboutir à un accord contraignant et à vocation universelle est déjà un véritable succès, qui dit au monde la nécessité absolue de lutter contre le changement climatique. C’est une défaite pour tous les lobbys, notamment ceux des énergies fossiles, qui tentent depuis des décennies de ralentir toute transition énergétique.
2. Des objectifs ambitieux
En reconnaissant la nécessité de renforcer l’effort pour limiter l’augmentation des températures sous les 1,5°C, les 196 parties renforcent l’ambition, et surtout soulignent l’urgence de l’action. Tenir cet objectif est un défi très difficile au vu des trajectoires, mais il est désormais inscrit dans les objectifs de la communauté internationale et il faut noter que les décisions de la COP comprennent la demande d’un rapport spécial du Giec sur les enjeux du 1,5°C, ce qui renforce la prise de position.
3. Des mécanismes de révision assez rapides
Nous savons que les contributions volontaires des Etats sont insuffisantes et nous placent sur une trajectoire insupportable vers les 3°C d’augmentation. Aussi, la rapidité des révisions est essentielle pour l’avenir. Dès 2018, les parties devront refaire le point sur leurs contributions (s’appliquant à partir de 2020), et en 2023, un état des lieux plus complet. Avec les actions engagées dès 2015 (Workstream 2), c’est bien à une généralisation des actions concrètes que doit aboutir l’accord.
4. Un travail étroit avec les acteurs non-étatiques
Pour engager le monde sur une trajectoire compatible avec le 1,5°C / 2°C, la période entre 2015 et 2020 est essentielle. Dans l’accord de Paris, un chapitre complet et très opérationnel est consacré à ce sujet, avec des travaux d’expertise intégrant l’expérience des acteurs non-étatiques, et le renforcement du Lima Paris Action Agenda, l’agenda des solutions porté par les collectivités territoriales, les entreprises, les associations. La COP21 aura été la vitrine des dynamiques concrètes, elles sont enfin reconnues par les parties dans le texte officiel, c’est un point essentiel.
5. Un lien climat et développement
Le lien entre les objectifs de développement durable (adoptés en septembre à New York) et l’accord de Paris sur le climat est évident mais a tardé à être confirmé. L’accès à l’énergie pour les pays en développement à travers le déploiement des énergies renouvelables, les 100 milliards de dollars annuels de soutien au sud pour l’accompagner sur le défi climatique (atténuation et adaptation), une première intégration de la question des «pertes et dommages» pour les pays les plus vulnérables sont des paragraphes clés du texte, des victoires importantes. Cette convergence des agendas climat et développement devra encore être crédibilisée par des mécanismes concrets. Elle trace cependant un nouvel horizon de la communauté internationale, pour un monde déclinant, du local au global, coopération et solidarité.
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«Les populations les plus vulnérables n’obtiennent pas de droits nouveaux»
Dans des moments difficiles, on attend d’une conférence internationale qu’elle prenne des décisions courageuses et visionnaires. L’accord de Paris est très en dessous du changement de cap requis.
1. Une absence de feuille de route
Il était attendu que la COP21 fixe un horizon qui éclaire les choix politiques économiques des années à venir, avec des points de passages précisément identifiés. Avec un objectif de long terme incompréhensible qui ne concerne que la seconde moitié du siècle, sans traduction chiffrée, la mention des 2°C (ou même de 1,5°C) de réchauffement maximum tombe comme un cheveu sur la soupe. Qui plus est si l’on compare cet objectif aux contributions nationales (INDCs) que les Etats ont posé sur la table et qui conduisent à un réchauffement global supérieur à 3°C. L’écart entre le réel et le souhaitable se cristallise un peu plus.
2. Des financements démonétisés
En vingt-cinq ans de négociation et malgré la Convention de l’ONU qui les y oblige, les pays historiquement les plus émetteurs de gaz à effet de serre ont toujours rechigné à débloquer les financements dont les pays du Sud ont besoin pour s’adapter et faire transiter leur économie. La COP21 ne déroge pas à la règle. Les financements pour l’après 2020 manquent de transparence et de prévisibilité: si les 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 sont à nouveau promis, six ans après Copenhague, rien n’assure leur pérennité. Pas plus que des financements «nouveaux» et «additionnels» pourtant nécessaires pour que les Etats du Sud mènent à bien leurs INDCs. Les pays du Sud demandaient un net rééquilibrage des financements au profit de l’adaptation. Pas gagné.
3. Une justice climatique dépréciée
Le terme «justice climatique» fait son entrée dans le vocabulaire de l’ONU, mais il n’est reconnu comme «important» que pour «quelques pays». Toutes les références aux droits humains et des populations indigènes, aux inégalités de genre ou encore à la «transition juste» portée par les syndicats, ont été déclassées dans des parties du texte moins engageantes et non opposables en droit international. Les populations les plus vulnérables n’obtiennent pas de droits nouveaux ou de nouveaux outils pour se défendre. L’affaiblissement du mécanisme des «pertes et dommages» sonne comme un aveu de culpabilité des pays responsables du réchauffement climatique.
4. Portes ouvertes à la compensation carbone?
L’introduction tardive d’un vocabulaire autour des réservoirs de carbone et de la possibilité de transférer des «résultats d’atténuation au niveau international», notamment sous l’impulsion de l’Union européenne et du Brésil, peut maintenir, voire encourager, les pratiques et dispositifs de compensation carbone. Problème: c’est bien de réduction d’émissions domestiques dont nous avons besoin pour rester en deçà de 2°C (ou mieux 1,5°C), et non d’autoriser nos économies et entreprises carbonées à pratiquer la compensation carbone.
5. Le déséquilibre du droit international n’est pas inversé
Les 195 Etats de la planète sont d’accord pour maintenir un cadre multilatéral de «gouvernance du climat». C’est une bonne nouvelle. Il faut désormais aller beaucoup plus loin, et plus vite, pour que les règles et principes d’organisation de l’économie mondiale et du commerce international soient rapidement soumises à l’objectif climatique. En exemptant les secteurs de l’aviation civile et du transport maritime – près de 10% des émissions mondiales – l’accord de Paris ne nous fait pas avancer et il sanctifie le décalage abyssal existant entre la bulle des négociations et la globalisation économique et financière. Il est urgent de passer de la climatisation des discours à la climatisation des politiques économiques.
(1) Auteur de Sortons de l'âge des fossiles, Manifeste pour la transition (Seuil, Anthropocène, 2015)