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COP21

Plan d’actions Lima-Paris : des engagements peu contraignants

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Au Bourget, ce programme de 75 initiatives en faveur du climat, lancé à la conférence climat de 2014 au Pérou n’a pas convaincu tous les acteurs.
Un délégué péruvien lors de la COP 21, au Bourget. (Photo Laurent Troude)
publié le 13 décembre 2015 à 20h26

Ce fut l'une des nouveautés de cette 21COP, et la délégation française ne s'est pas privée de l'exploiter. Le «Plan d'actions Lima-Paris» (LPAA) est un programme lancé par la France, le Pérou et les Nations unies à la fin de la précédente COP, organisée à Lima en 2014. Il regroupe aujourd'hui 75 «grandes initiatives coopératives internationales» engageant des Etats et d'autres acteurs (entreprises, ONG, villes, investisseurs, etc.) dans la réduction des gaz à effet de serre et la préservation des ressources naturelles. Célébré pendant la «Journée de l'action» du 5 décembre, il a été bien accueilli par la plupart des pays représentés au Bourget, mais plusieurs ONG continuent d'y voir un outil inefficace, voire contre-productif.

Toutes sortes de projets s’y mêlent, entamés depuis plusieurs années ou annoncés au Bourget. Parmi eux, la «Global Fuel Economy Initiative», visant à soutenir l’émergence de véhicules moins voraces en carburants fossiles. L’Agence internationale de l’énergie et l’International Council on Clean Transportation - qui a révélé le trucage des moteurs par Volkswagen - y participent. Ou la «Mission innovation», coalition de vingt Etats promettant de doubler leur soutien au développement des énergies «propres». Une autre initiative rassemble des peuples indigènes de trois continents, des gouvernements et des entreprises autour de la protection de 400 millions d’hectares de forêts, pour éliminer les pertes de forêts d’ici à 2030.

7 000 projets sur nazca

Le LPAA a également conduit plusieurs milliers d'acteurs à publier des engagements individuels en faveur du climat. La plateforme web «Nazca», créée cette année, en recense près de 7 000. La mairie de Paris y affiche ainsi son ambition de réduire de 30 % les émissions de CO2 résultant de son fonctionnement entre 2004 et 2020. Pendant la COP, Laurent Fabius s'est félicité «des engagements concrets de milliers de collectivités locales et d'entreprises en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique». Un mouvement «amené à se poursuivre dans les années qui viennent».

Mercredi, le think tank Corporate Accountability International dénonçait pourtant la «composante dangereuse de la COP 21» que représente pour lui le plan d'action Lima-Paris. Principal motif avancé : c'est un moyen pour les grandes multinationales de s'adonner au greenwashing. «Beaucoup d'entreprises ne veulent pas réellement lutter contre le réchauffement climatique», s'inquiète Tamar Lawrence-Samuel, directrice de recherche associée à l'ONG. Un bref tour sur Nazca suffit pour s'en convaincre. Engie (ex-GDF Suez), à la fois gros émetteur de gaz à effet de serre et sponsor de la COP 21, y affiche, par exemple, son engagement à «réduire les émissions de CO2 issues de la production d'électricité en Belgique de 2 % entre 2007 et 2015» : un effort déjà réalisé et peu ambitieux. Le pétrolier BP, Monsanto, EDF ont également publié des contributions peu significatives. «Nazca n'a pas de critères de validation très forts, reconnaît une source proche du dossier. Mais on n'ira pas très loin en ne travaillant qu'avec des gens super propres. Et on ne peut pas demander à ces entreprises de se faire hara-kiri. Il faut donc y aller petit à petit.» Maureen Jorand, de CCFD-Terre solidaire, résume l'état d'esprit des ONG : «Il y a consensus pour dire qu'il y a de bonnes et de mauvaises solutions dans le LPAA.» L'ONG a notamment dans le collimateur l'initiative «4 pour 1 000», lancée à la COP 21 et soutenue par le ministère de l'Agriculture français, visant à accroître la capacité des sols à capter le dioxyde de carbone. «Elle ne comporte pas de définition précise du modèle agricole promu. Ce qui ouvre la porte à l'utilisation d'herbicides comme le Roundup», redoute Maureen Jorand. Une étude menée par un panel d'universitaires, d'ONG et de lobbys d'entreprises, publiée le 7 décembre, pointe aussi le manque de clarté de certaines initiatives : «Sur les 44 poursuivant un objectif d'atténuation, seules 19 affichent un objectif précis de réduction des émissions.» Par ailleurs, moins d'un tiers des initiatives disposeraient à la fois d'un secrétariat et d'un budget.

«gouvernance pas à pas»

Il faut dire qu'à l'approche de la COP 21, les partenaires du LPAA ont fait face à un flot d'initiatives et en ont inclus quelques-unes à la hâte, sans toujours vérifier si elles tenaient la route. «L'essentiel était de susciter l'envie.» Ou de briller au Bourget ? Toujours est-il que le dispositif de suivi des engagements ne convainc pas les ONG. Pour le moment, les parties prenantes ne sont contraintes qu'à publier un rapport annuel de leurs avancées. Les actions individuelles publiées sur Nazca n'ont pas à se soumettre à un tel effort - en pratique elles peuvent même être retirées à tout moment du site. «Il n'y a aucun moyen de vérifier que les entreprises tiendront bien leurs engagements. Elles jouent avec les règles du jeu qui les arrangent», peste Majandra Rodriguez Acha, de l'ONG péruvienne TierrActiva.

L'étude indépendante pointe aussi la concentration géographique des secrétariats pilotant ces initiatives : plus de la moitié se trouvent en Europe et 20 % aux Etats-Unis. Où les postures sur le climat et la gestion des ressources ne sont pas forcément les mêmes que dans les pays du Sud. En attendant d'établir «une gouvernance pas à pas», les Nations unies, la France et le Pérou comptent sur les médias et la société civile pour assurer le suivi. Corporate Accountability International craignait aussi que le «Lima-Paris» ait une mauvaise influence sur l'accord de Paris en poussant certains Etats à louer les efforts d'autres acteurs pour justifier leur manque d'ambition.