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Au rapport

En Syrie, les preuves des tortures par le régime

L’ONG américaine des droits de l’homme Human Rights Watch identifie certaines des victimes de Bachar al-Assad. Et réclame justice.
La ville de Homs, l'an passé. (Photo Joseph Eid. AFP)
publié le 16 décembre 2015 à 18h23

Les photos des corps suppliciés qui figurent dans le rapport de Human Rights Watch (HRW) publié mercredi sont connues. Elles font partie des 53 275 clichés de «César», le pseudonyme donné au photographe de la police militaire syrienne qui s'est enfui de Syrie en juillet 2013, emportant avec lui les preuves de la machine de mort qu'est le système de détention du régime de Bachar al-Assad. Mais cette fois, huit de ces cadavres, un adolescent de 14 ans, une femme et six hommes, ont un nom.

L'ONG les a identifiés après neuf mois de recherche en interviewant parents et amis, ainsi que des anciens détenus et des transfuges. Dix-neuf autres victimes ont été identifiées, mais leurs familles ont préféré rester anonymes par peur des représailles. «Ces photos montrent les enfants, les maris, les proches bien-aimés et les amis de ces personnes qui les ont désespérément recherchées pendant des mois, voire des années», a déclaré Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de HRW. «Après avoir soigneusement vérifié des dizaines de récits, nous avons acquis la certitude que les photographies de César constituent des éléments de preuve authentiques et accablants de crimes contre l'humanité commis en Syrie.»

Marques de coups

Parmi les victimes, figure Ahmad al-Musalmani, 14 ans. Originaire de Namr, dans la province de Deraa (Sud), sa famille l’avait envoyé au Liban après que son frère aîné a été tué lors d’une manifestation au début du soulèvement, au printemps 2011. Le 2 août 2012, Ahmad est de retour en Syrie pour assister à l’enterrement de sa mère. Le minibus dans lequel il voyage est arrêté entre Damas, la capitale, et Deraa, à un barrage tenu par les services de renseignement de l’armée de l’air. Ahmad et les cinq autres passagers sont fouillés et leur téléphone mobile inspecté. Sur celui d’Ahmad, figure une chanson anti-Al-Assad. L’adolescent est arrêté.

Son oncle, un ancien juge, le cherchera durant près de trois ans. Ses demandes auprès d’officiels et de branches du gouvernement syrien, dont celle du renseignement militaire, n’aboutiront pas. Il donnera plus de 22 000 dollars (environ 20 000 euros) à des intermédiaires véreux. Désormais exilé, il découvrira finalement la photo du corps de son neveu parmi les clichés de César. Ahmad figurait dans le classeur des victimes décédées en août 2012, le mois de son arrestation. Ses bras et son visage sont constellés de marques de coups.

Signes de malnutrition

C'est aussi en parcourant le dossier César que la famille de Oqba al-Mashaan a appris qu'il était mort. Employé du gouvernement, il vivait à Mou Hassan, dans la province septentrionale de Deir Ezzor. Marié et père de deux filles, il a été arrêté par des forces pro-gouvernementales en mars 2012 alors qu'il avait 32 ans. Des témoins ont alors affirmé à la famille qu'il avait été transféré aux services de renseignement de l'armée de l'air. Lorsque son frère se met à sa recherche, il est lui aussi arrêté et détenu durant un mois à Damas. Le père d'Oqba fait ensuite une demande officielle au ministère de la Justice. La réponse arrivera après plusieurs mois d'attente : «Nous n'avons pas d'information à son sujet.» D'après des médecins légistes interrogés par HRW, le corps de Oqba présente des signes de malnutrition.

L'ONG relève que les causes des décès des détenus sont variées. La torture et les coups en sont une. Tout comme la faim. Certains cadavres montrent des os saillants. «Nous n'avons aucun doute quant au fait que les personnes qui apparaissent sur les photographies de César ont été privées de nourriture, battues et torturées de façon systématique et à grande échelle, a expliqué Nadim Houry. Ces photographies ne représentent qu'une fraction des individus morts en détention sous la responsabilité du gouvernement syrien – des milliers d'autres connaissent actuellement le même sort.»

D’anciens détenus ont aussi raconté comment des maladies de peau, des diarrhées, des infections gastro-entérinales non soignées provoquent des décès dans les prisons du régime. Des malades chroniques qui souffrent de diabète, d’asthme ou d’hypertension meurent également, faute de médicaments adaptés.

Lors d'une interview accordée en janvier 2015 au magazine Foreign Affairs, le président Bachar al-Assad avait affirmé à propos des clichés de César : «N'importe qui peut apporter des photos et dire que c'est de la torture. Il n'y a aucune vérification. Ce sont des allégations sans preuve.» Le rapport d'enquête de HRW montre à l'inverse que ces éléments existent. «Ceux qui œuvrent pour la paix en Syrie doivent s'assurer que les personnes qui ont supervisé ce système répondent pour leurs crimes», a déclaré Nadim Houry.