C'est par communiqué sans fioritures que Silvan Shalom, 58 ans, vice-Premier ministre israélien chargé des négociations avec les Palestiniens, ministre de l'Intérieur, et baron du Likoud, a annoncé dimanche soir son retrait de la vie politique. Après vingt-trois années de bons et loyaux services, on aurait pourtant pu s'attendre à mieux de la part d'un homme qui n'a jamais caché son ambition de remplacer Benyamin Nétanyahou à la tête gouvernement ou d'occuper un jour la fonction honorifique de chef de l'Etat. Mais c'est fichu. Parce qu'au moins dix femmes – dont l'une vient de déposer plainte – accusent l'ex-ministre d'avoir eu des «comportements inappropriés». En clair, de les avoir harcelées sexuellement.
De ce fait, celui qui passait jusqu’à ces dernières heures pour l’un des hommes forts du Likoud a changé de statut. La procédure judiciaire étant lancée, il n’évitera pas les interrogatoires humiliants et les fuites dans la presse. Et si sa culpabilité est établie, il risque à moyen terme de retrouver en prison l’ex-président de l’Etat Moshé Katzav, condamné pour viol à sept ans de prison en 2011.
Promis à un brillant avenir
Originaires de Gabès, en Tunisie, Shalom et sa famille ont débarqué à Beer Sheva (désert du Néguev) en 1959. Une destination alors réservée aux nouveaux émigrants séfarades (juifs originaires des pays méditerranéens) que l’establishment travailliste et ashkénaze traitait avec le plus grand mépris. Si les conditions de vie sont toujours difficiles dans le désert du Néguev, elles l’étaient encore plus dans les années 60-70. D’autant que le père du futur ministre, gérant d’agence bancaire, avait été tué durant un hold-up et que sa famille nombreuse s’était retrouvée sans revenu. Mais Silvan Shalom, à la force du poignet, a décroché un diplôme d’économie et de comptabilité à l’université de Beer Sheva avant de se lancer dans la vie publique pour devenir rapidement l’étoile montante de la droite locale.
Il faudra cependant attendre son mariage avec Judy Nir-Mozes, une pétulante veuve héritière du groupe de presse Yediot Aharanot et de nombreuses participations dans l'économie israélienne, pour que la carrière de Silvan Shalom prenne son envol. Réélu député du Likoud à chaque scrutin, plusieurs fois ministre, l'ancien crève-la-faim de Beer Sheva avait tous les atouts en main pour se croire promis à un brillant avenir. D'autant qu'il savait faire vibrer la fibre du petit peuple séfarade des «villes de développement» du Sud en évoquant sa pauvreté passée, les synagogues qu'il fréquentait pour manger, les traditions juives tunisiennes…
Nombreux cas de harcèlement
«En privé, il insistait souvent sur le fait que, depuis l'indépendance d'Israël en 1948, aucun Séfarade n'a jamais été Premier ministre et que cette lacune devait être comblée», se souvient le chroniqueur politique Hanan Krystal. «Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre qu'il se voyait bien rectifier cet "oubli" historique». Et de poursuivre : «En 2005, peu après le départ forcé d'Ariel Sharon empêché par un AVC, il a été à deux doigts de remporter la présidence du Likoud face à son principal rival Nétanyahou. Ce qui lui aurait ensuite probablement apporté le portefeuille de Premier ministre sur un plateau. Cela n'a pas été le cas mais Shalom a poursuivi sa carrière politique en attendant une autre opportunité.» Krystal ajoute : «Déjà à l'époque, circulaient des rumeurs sur son comportement privé. Tout comme il en circulait sur Katzav et sur beaucoup d'autres noms connus de la vie publique israélienne. Comment faire le tri ? Personne ne prenait ces assertions pour argent comptant puisqu'aucune plainte ne venait les conforter.»
Les cas de harcèlement sexuel sont nombreux dans l'Etat hébreu. Depuis le début de 2015, des officiers supérieurs de la police, un président de tribunal, des officiers de l'armée, et plusieurs maires ont ainsi été poursuivis pour avoir eu les mains baladeuses. Voire plus. Quelques jours avant le départ de Shalom, le député d'extrême droite Yinon Magal, président du groupe parlementaire du Foyer juif, a lui aussi rendu son mandat de député en «reconnaissant son erreur» et en présentant ses excuses à la journaliste qui en avait été victime. «Derrière les cas médiatisés, il y a tous ceux dont on ne parle jamais parce que les femmes hésitent à raconter ce qu'on leur a fait vivre», lâche la députée progressiste Zehava Gal-On (Meretz) qui ajoute : «Je ne sais pas si Shalom est coupable mais j'espère que son départ poussera les victimes de harcèlement à ne plus se laisser faire.»