L’accord est déjà considéré comme historique. La Corée du Sud et le Japon se sont réconciliés lundi sur la question délicate des «femmes de réconfort». Cet esclavage sexuel avait été imposé par l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que le territoire coréen était une colonie nippone. Tokyo a accepté de dédommager les principales intéressées, même si peu d’entre elles sont encore en vie. Au total, 200 000 femmes ont été asservies dans les bordels de l’armée japonaise. Parmi elles, des Coréennes, des Chinoises, des Indonésiennes. En Corée du Sud, il n’en reste que 46.
Une aide, pas une réparation
Au-delà du milliard de yens (7,6 millions d'euros) versé, le Japon a reconnu explicitement sa responsabilité dans l'élaboration du réseau de prostitution forcée. «Le système des femmes de réconfort […] a existé du fait de l'implication de l'armée japonaise […] et le gouvernement japonais est pleinement conscient de sa responsabilité», a déclaré le ministre japonais des Affaires étrangères, Fumio Kishida, à l'issue de discussions à Séoul avec son homologue, Yun Byung-se.
Cet accord est signé cinquante ans après un premier texte normalisant les relations entre la Corée du Sud et le Japon. Le 22 juin 1965, les deux pays avaient ratifié des accords rétablissant les liens diplomatiques et prévoyant une aide économique japonaise, qui n'était cependant pas présentée comme une réparation des torts causés à la Corée. «Il y a eu la reconnaissance de la déportation de 2 millions de personnes, mais stipulant l'impossibilité de toute réclamation individuelle des indemnités après ces accords», précise Christine Lévy, maître de conférence à l'université de Bordeaux-Montaigne, dans un entretien au site Asialyst. «Dans cet accord sur le nombre des déportés, rien n'est dit sur les femmes de réconfort alors qu'elles en faisaient partie», ajoute-t-elle. Depuis, Tokyo considérait le sujet clos.
La politique plus que la justice
Yohei Kono, chef du cabinet du Premier ministre nippon en 1993, avait pourtant reconnu l'implication plus ou moins directe de l'armée japonaise dans la création de ces «stations de réconfort». Mais de franches excuses n'étaient pas de mise. Shinzo Abe, l'actuel Premier ministre japonais, estimait en 2007 que «rien ne prouv[ait] qu'il y ait eu de la coercition», affirmant que les femmes de réconfort étaient des prostituées consentantes.
De l'autre côté, les revendications coréennes ne se sont pas essoufflées. Arrivée au pouvoir en février 2013, la présidente sud-coréenne, Park Geun-hye, a qualifié le différend de «plus grand obstacle» à l'amélioration des relations diplomatiques. Récemment, des pressions de la société civile japonaise ont émergé pour désamorcer les tensions et inciter le gouvernement à reconnaître sa culpabilité. En mai, avant le discours de Shinzo Abe sur la commémoration de la capitulation du 15 août 1945, des historiens japonais avaient publié une déclaration encourageant le pays à faire face «honnêtement» aux souffrances causées aux femmes de réconfort.
Dans un communiqué, Hiroka Shoji, d'Amnesty International, tempère l'enthousiasme : «Les femmes, qui étaient absentes des négociations, ne doivent pas être oubliées dans cet accord qui sent plus la politique que la justice.» En effet, certains attribuent sa signature à la pression exercée par la Maison Blanche (grand allié des deux puissances asiatiques) sur Park Geun-hye pour qu'elle soit moins sévère envers Tokyo. Kan Kimura, chercheur à l'université japonaise de Kobé, renchérit : «C'est un accord entre deux gouvernements, pas entre deux sociétés. Toute la question est de savoir si la société sud-coréenne l'acceptera.»