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Libération
Décryptage

Porto Rico menacé de faillite

Les finances désastreuses de l'archipel, ancien paradis fiscal des multinationales américaines, font craindre un défaut de paiement, entraînant une crise humanitaire, entre émigration massive et mesures d'austérité extrêmes.
Des manifestants à Wall Street contre les mesures d'austérité imposées à Porto Rico, le 2 décembre à New York. (Photo Spencer Platt. AFP)
publié le 1er janvier 2016 à 15h22

Porto Rico mérite moins que jamais son nom – «port riche» en espagnol. L'archipel américain, submergé par une dette abyssale, est menacé d'un défaut de paiement imminent. Sans l'aide des Etats-Unis, dont la politique fiscale changeante a beaucoup contribué à déstabiliser l'économie de l'île, il semble peu probable que la «Grèce des Caraïbes» honore ses obligations après plusieurs années de récession qui ont élargi sa dette à 73 milliards de dollars.

Qu’est ce qu’un défaut de paiement ?

En termes juridiques, il s’agit du non respect d’un contrat liant un débiteur à un créancier. En clair, quand le premier ne peut plus rembourser ses dettes sur une ou plusieurs échéances envers le second, il est déclaré en défaut de paiement. Et un défaut de paiement peut entraîner une faillite. En raison de graves difficultés économiques, la dette de Porto Rico, un territoire dont les habitants sont citoyens américains mais qui n'est pas incorporé parmi les Etats américains, a triplé entre 2000 et 2013 passant à plus de 73 milliards de dollars. Que l’île américaine ne peut plus rembourser.

Début décembre, l'archipel évite temporairement le défaut de paiement en payant les 355 millions de dollars de dette publique arrivée à échéance. Mais, le 9 du mois, le gouverneur de Porto Rico, Alejandro Garcia Padilla, lance un « appel de détresse » au Congrès américain. L'île, à cours de liquidités, est confrontée à « la plus grave crise budgétaire » de son histoire.

La veille de Noël, le secrétaire américain au Trésor, Jack Lew, déclare l'archipel «de fait, en défaut» car «ils ont déjà pris de l'argent de leurs fonds de retraite pour payer des factures courantes, déplacé de l'argent d'un créancier pour en payer un autre». Porto Rico est dans l'impasse.

Pourquoi une telle dette ?

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Porto Rico élabore une stratégie d’industrialisation massive. Pour attirer les investisseurs étrangers, un système d’exonération d’impôts est mis en place. Cette incitation fiscale veut transformer l’île en eldorado pour les entreprises. Pari réussi car beaucoup en profitent, dont des groupes pharmaceutiques comme Pfizer. Autre atout : l’archipel propose aux investisseurs qui achètent ses bons du Trésor une exemption de taxes locales et fédérales. Raison pour laquelle les titres obligataires de Porto Rico deviennent très populaires auprès des fonds de pension américains.

En 2006, fin de l'idylle. Le Congrès américain supprime le système avantageux d'exemption fiscale. A Porto Rico, les gouvernements successifs accumulent alors les dettes pour maintenir le dynamisme économique. Mais ces tentatives n'empêchent pas le départ d'une multitude d'entreprises, ce qui entraîne une chute de l'activité économique – la production s'effondre de 16% et le PIB régresse de 10% – plongeant Porto Rico en récession continue. Autre coup dur : les agences de notation placent alors les obligations de l'archipel dans la catégorie des «junk bonds» (des obligations pourries, jugées à haut risque de non solvabilité).

Quel est le statut hybride de Porto Rico ?

L’archipel des Caraïbes n’est ni un Etat ni une municipalité américaine, même si ses 3,5 millions d’habitants sont des citoyens des Etats-Unis. Ainsi, Porto Rico n’a aucune obligation fiscale envers l’Etat fédéral.

Revers de la médaille : sa marge de manœuvre est donc très faible. L’île ne peut dévaluer sa monnaie ou répudier sa dette car son territoire est américain et ne bénéficie pas de l’indépendance d’un pays normal. Mais Porto Rico ne peut pas non plus recourir à la protection de la loi américain sur les faillites. En effet, à l’image de ce qu’avait fait Detroit en juillet 2013 , le fameux chapitre 9 de la loi américaine permet à une municipalité de suspendre ses paiements sans qu’aucun créancier ne puisse venir réclamer son dû.

C’est pourquoi, lorsque l’île demande à restructurer sa dette, elle se confronte à un casse-tête juridique.

Seul le Congrès peut accorder ce droit à l'île, ce qu'il s'est abstenu de faire pour l'instant, même dans la loi de compromis budgétaire 2016 adoptée mi-décembre. «Le Congrès a manqué une occasion cruciale de fournir à Porto Rico les moyens nécessaires de s'attaquer à sa crise budgétaire», avait alors réagi le secrétaire américain au Trésor, Jacob Lew. Paul Ryan, le chef de file des républicains – majoritaires – au Congrès, s'est voulu rassurant en s'engageant à trouver une «solution responsable» d'ici fin mars.

Restructurer la dette, la bonne solution ?

Dans un rapport de la compagnie Centennial Group, commandité par les créanciers de l'archipel (essentiellement des fonds de pension américains), d'anciens économistes du FMI rejettent l'idée d'une restructuration de la dette portoricaine, qui serait selon eux une erreur. Ils conseillent plutôt une série de mesures comme une intensification de l'agriculture qui représente aujourd'hui qu'1% du PIB pour éviter l'importation massive de nourriture, la réduction du nombre d'enseignants, des coupes dans les dépenses de santé, ou encore miser sur l'industrie du tourisme.

Mais le gouvernement portoricain, enclin à protéger les habitants, hésite à appliquer de sévères mesures d'austérité. «Si au 1er janvier, je dois décider de payer les travailleurs portoricains ou les fonds créanciers, je paierai les Portoricains», avait averti Alejandro Garcia Padilla.

Quelles peuvent être les conséquences d’un défaut de paiement ?

Le premier impact pourrait être judiciaire. La trentaine de fonds de pension, créanciers de Porto Rico, pourraient déposer des plaintes contre chaque entreprise publique et demander des saisies. Ce qui serait tout à fait légitime puisque la Constitution locale garantit l’allocation prioritaire des ressources au paiement des créanciers. L’un d’entre eux, Oppenheimer Funds, a d’ailleurs déjà prévenu qu’il entendait défendre ses droits devant la justice.

Si les finances du territoire sont gelées par les procédures judiciaires, les conséquences peuvent rapidement devenir incontrôlables. «Le gouvernement pourrait fermer. Des services essentiels pourraient être perdus. Je n'aurai pas assez d'argent pour financer des services essentiels comme la sécurité ou l'assurance-maladie», a mis en garde le gouverneur portoricain. Fin octobre, l'administration Obama, avait aussi partagé ses craintes quant au risque d'une «crise humanitaire». Antonio Weiss, conseiller auprès du Trésor, précise quant à lui, qu'«une douzaine d'hôpitaux ont fermé […], les entreprises quittent l'île», comme General Electric, Pfizer, Merck ou Procter and Gamble.

«Chaque semaine, 1 500 habitants quittent l'île.» Le gouverneur confirme l'exode qui touche l'île. L'année dernière, un record historique est atteint : 84 000 personnes sont parties de l'archipel. Depuis 2006, Porto Rico a perdu 10% de ses habitants, dont une majorité au cours des cinq dernières années, selon le réseau d'ONG Jubilee USA.

Le Prix Nobel d'économie Paul Krugman va jusqu'à prévenir d'une probable «spirale de la mort» dans le New York Times. En effet, à cause d'une émigration de masse, les rentrées fiscales continueraient de chuter. Pour les habitants restant à Porto Rico, le contrecoup serait désastreux, notamment concernant le maintien des services publics.

Porto Rico, stratégique pour la présidentielle américaine de 2016 ?

Le Congrès fait la sourde oreille, la Maison Blanche se manifeste un peu. Des attitudes timides mais temporaires, lorsqu’on sait que cinq millions de Portoricains vivent aux Etats-Unis, essentiellement en Floride, un Etat clé pour le scrutin. Alors, dans la perspective de la présidentielle, l’impasse portoricaine pourrait bien trouver une issue.