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Libération
Décryptage

Le Venezuela expérimente la cohabitation

Ce mardi, la nouvelle Assemblée nationale, dominée par la coalition d'opposition au gouvernement chaviste, entame son mandat.
Henry Ramos Allup, député de la coalition d'opposition MUD, est élu président du parlement du Venezuela, le 3 janvier. (Photo Marco Bello. Reuters)
publié le 4 janvier 2016 à 17h24

Le Venezuela entame une nouvelle ère politique avec la fin de l'hégémonie chaviste (en référence à Hugo Chávez, président de 1999 à 2013). La nouvelle Assemblée nationale du pays, désormais dominée par l'opposition après les élections législatives du 6 décembre dernier, siégera pour la première fois le 5 janvier. Et Diosdado Cabello, président du parlement jusqu'alors et numéro deux du régime chaviste de Nicolás Maduro, devrait quitter son perchoir pour laisser sa place au député Henry Ramos Allup, désigné par l'opposition pour prendre la tête de l'Assemblée.

Que s'est-il passé le 6 décembre ?

Le 6 décembre, les 19 millions de Vénézuéliens ont massivement pris part au vote (74,25 % de participation). C'est un désaveu historique du gouvernement chaviste et du parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) au pouvoir. La coalition de l’opposition, la Mesa de la Unidad Democratica (MUD) obtient la majorité qualifiée des deux tiers, soit 112 sièges sur 167.

Les médias internationaux sont unanimes : le pays tourne le dos au socialisme chaviste. L’exaspération populaire a eu raison des seize années de suprématie du PSUV, alors même qu’en 2010, le parti remportait encore la majorité des 165 sièges. L'économie du Venezuela, intrinsèquement liée aux réserves pétrolières du pays, a chuté au même rythme que celui des cours du brut. Les pénuries de produits de première nécessité (largement importés) se sont alors multipliées et l’inflation est devenue galopante (atteignant même 200% selon les estimations officielles). La revendication principale des Vénézueliens est alors de retrouver un quotidien décent.

Quelles prérogatives pour la nouvelle Assemblée ?

La position du nouveau président de l'Assemblée, Henry Ramos Allup, est sans ambiguité : «Cette Assemblée nationale soumise au pouvoir exécutif, c'est terminé.»

Les députés fraîchement élus ont donc bien l’intention de contester l’omnipotence du pouvoir exécutif. Car détenir une majorité qualifiée inédite à l’Assemblée, c’est bénéficier de larges prérogatives. Entre autres, celles de voter une loi d’amnistie pour les 75 prisonniers politiques du pays recensés, de destituer les magistrats du Tribunal suprême de justice, de soumettre à référendum des traités internationaux et des projets de loi, de voter des réformes constitutionnelles ou de provoquer le départ anticipé du président en réduisant la durée de son mandat. L’Assemblée vénézuelienne veut aussi adopter au premier semestre 2016 des réformes économiques.

Le bloc de l’opposition, un véritable contre-pouvoir ?

Pas moins d'une vingtaine de partis compose la coalition de la Table de l'unité démocratique (MUD). L'unité de la MUD, très solide pour rejeter le pouvoir, est plus fragile quant il s'agit de stratégies de gouvernement. «Ce qui unit l'opposition, c'est le rejet du pouvoir», confirme Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l'Amérique latine à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) à l'AFP. «Au-delà, il y a peu d'atomes crochus entre ses composantes qui couvrent un champ politique allant d'un extrême à l'autre», poursuit-il. Jesus Torrealba, secrétaire général de la MUD et porte-parole, a d'ailleurs été honnête vis à vis de cette difficulté : «Ce n'est pas la même chose de s'unir pour s'opposer, que de s'unir pour légiférer.»

Pour éviter la paralysie politique et résoudre la crise économique actuelle, la MUD doit se réinventer et s'accorder sur les prochaines décisions législatives. Jesus Torrealba a par ailleurs assuré que la priorité était «la réconciliation nationale» et «l'urgence économique et sociale du pays».

Le politologue John Magdaleno, lui, reste très optimiste. La coalition peut instaurer un «contrepoids» dans un Etat dont les pouvoirs «sont totalement contrôlés» par le chavisme. Elle peut même provoquer «une recomposition des forces politiques», renchérit l'analyste Nicmer Evans à l'AFP.

Le gouvernement contre-attaque

En plus de (possibles) dissensions internes, la coalition est confrontée à d'autres obstacles. Le gouvernement tente déjà de contrecarrer ses pouvoirs. Le 15 décembre, Diosdado Cabello a annoncé «l'installation d'un Parlement communal national». Le média ajoute que l'instance «servira à élaborer des propositions destinées à renforcer les politiques gouvernementales». Cette décentralisation de certaines compétences incarne les ambitions gouvernementales de diminuer les pouvoirs de l'Assemblée nationale.

Au premier semestre, les réponses aux multiples défis du parlement sont très attendues. Car, selon la plupart des analystes, la situation économique du pays va s'aggraver. L'’économie devrait reculer d’au moins 6% et le pays enregistrer un déficit budgétaire de quelque 20 points du PIB.