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Libération
Récit

Armes : Obama dégaine un pétard mouillé

Le président américain a pris une série de mesures, par essence limitées, pour contrôler l’accès aux armes. Il s’est affranchi du Congrès, à dominante républicaine, qui n’a rien fait malgré la multiplication des tueries.
Barack Obama a présenté ses mesures, mardi, dans un discours prononcé à la Maison Blanche. (Photo Kevin Lamarque. Reuters)
publié le 5 janvier 2016 à 19h51

Frustré par le refus du Congrès de légiférer, Barack Obama a fini par prendre les devants. Le président des Etats-Unis, qui entame la dernière année de son second mandat, a annoncé mardi une série de mesures pour limiter l'accès aux armes à feu aux Etats-Unis. Un pays qui en compterait 310 millions en circulation, soit presque autant que d'habitants, et où les ventes d'armes ont plus que doublé en dix ans. «Nous sommes le seul pays où les tueries de masse arrivent aussi souvent», a-t-il déclaré, les larmes aux yeux, depuis la Maison Blanche. «Nous devenons connus pour cela, et nous commençons à penser que cela est normal […] Nous pouvons trouver des manières de limiter l'accès aux armes tout en respectant le deuxième amendement», a-t-il déclaré, s'appuyant sur le fait que la «majorité» des Américains sont en faveur de contrôles plus stricts. «Le lobby des armes à feu peut tenir le Congrès en otage en ce moment, mais il ne peut pas retenir l'Amérique en otage.»

Epidémie. Sans appui législatif, les marges de manœuvre de Barack Obama étaient limitées. D'où un ensemble de mesures modestes dans leur portée, dont le but principal est de renforcer les dispositifs de contrôles de certains acheteurs. Pas de quoi enrayer l'épidémie de violence. Pour le Président, il s'agit surtout de faire un pas symbolique dans un domaine où il était très attendu, et d'ajouter cette pierre à son bilan. La principale mesure s'attaque à un vide juridique, qui permet actuellement à des vendeurs d'armes occasionnels ou sans boutiques, en particulier dans les multiples salons et sur Internet, de se passer de licence fédérale, et de ne pas être tenus de vérifier les antécédents judiciaires de leurs acheteurs. Certains profitent de cette ambiguïté pour vendre sur Internet des quantités considérables d'armes à feu, a démontré le lobby anti-armes EveryTown, en particulier sur des sites comme Armslist.com, un équivalent du «Bon Coin» où 640 000 annonces de vente d'armes ont été postées en un an.

Désormais, tous les vendeurs «engagés professionnellement» dans ce secteur (mais pas le particulier revendant son arme, par exemple) devront obtenir une licence et faire approuver leurs clients par la base de données du FBI. Le plan d'Obama, applaudi par Hillary Clinton, prévoit aussi de renforcer les équipes fédérales qui contrôlent les antécédents des acheteurs, d'améliorer la pertinence de la base de données du FBI, d'y inclure les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Le Président veut également systématiser le signalement à la police locale des demandes d'achat d'arme rejetées. Les vendeurs seront tenus de prévenir les autorités fédérales lorsqu'une arme a été perdue.

En revanche, rien sur l'interdiction des armes d'assaut et des chargeurs à haute capacité. Barack Obama n'a pas non plus réussi à imposer un «background check» universel (contrôle systématique des antécédents, peu importe le vendeur), qui existe dans 18 Etats et y a permis une diminution significative de la violence. Des mesures que le Président avait tenté de faire passer devant le Congrès en janvier 2013, après le massacre de l'école primaire de Newtown, qui avait entraîné la mort de 27 personnes, dont 20 enfants. Les «tueries de masse»ne sont pourtant que la partie visible de l'iceberg. En 2015, elles ont entraîné la mort de plusieurs dizaines de personnes. Et le taux de morts par armes à feu aux Etats-Unis est largement supérieur à celui observé dans d'autres pays. Rien qu'en 2013, 11 208 Américains sont morts après l'utilisation d'une arme à feu (hors suicides), et plus de 84 000 ont été blessés.

Amendement. Pourtant, Barack Obama n'avait pas encore terminé son discours que les républicains se déchaînaient, brandissant le sacro-saint deuxième amendement de la Constitution, qui garantit à tout citoyen le droit de porter une arme. «Bientôt, plus personne ne pourra acheter d'armes !» s'est exclamé Donald Trump sur CNN, annonçant qu'il détricoterait ces mesures s'il était élu président. Paul Ryan, le président républicain de la Chambre, a estimé qu'elles constituaient une tentative dangereuse pour le président d'outrepasser ses pouvoirs, tandis qu'un autre candidat républicain, Chris Christie, a qualifié le président de «dictateur». Plusieurs recours juridiques ont déjà été annoncés. «Même s'ils affirment être les représentants du peuple, des membres du Congrès, presque tous républicains, ont choisi de se soumettre à un lobby des armes à feu, qui est en décalage frappant avec les attentes de la population. Depuis des années, neuf Américains sur dix sont en faveur des "background checks" universels, et malgré cela, la NRA [National Rifle Association, association pro-armes, ndlr] s'y oppose. Qui représente le mieux la volonté du peuple américain ?», s'interroge le New York Times dans son éditorial du jour. En attendant, les ventes d'armes à feu prospèrent. Alors qu'Obama avait annoncé il y a quelques semaines qu'il allait agir, les «gun lovers» se sont rués dans les boutiques. Résultat : 1,6 million d'armes ont été achetées en décembre, 33 % de plus qu'en novembre.