Antoine Bondaz, chercheur rattaché au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri-Science-Po) et à l’Institut de recherches stratégiques de l’Ecole militaire (Irsem), travaille sur le système de sécurité en Asie du Nord-Est et sur la politique étrangère nord-coréenne. Il décrypte l’annonce du premier essai de bombe à hydrogène par le régime de Pyongyang ce mercredi, qui a généré de vives réactions de la communauté internationale.
Est-on sûr qu’un essai nucléaire a bien eu lieu ?
On a constaté un séisme de magnitude 5,1 de nature humaine dans le nord-est de la péninsule. L'explosion d'un engin nucléaire est possible. Cependant, on ne sait pas encore si c'est une bombe A classique (à l'uranium ou au plutonium) ou une bombe H (à l'hydrogène). C'est là une question à laquelle il est difficile de répondre et avec un grand enjeu. La bombe H est bien plus puissante que la bombe A. C'est très difficile de savoir si les Nord-Coréens la possèdent désormais. Les Américains avaient déclaré en décembre qu'ils avaient des éléments prouvant que non. Et en effet, ça semble peu probable. Mais si jamais Pyongyang a réussi à fabriquer une bombe H, ça suppose un bond technologique considérable, donc une possible aide extérieure. Pas nécessairement d'un pays, mais pourquoi pas un réseau clandestin de scientifiques sur le modèle du réseau Khan [le Dr Abdul Qadeer Khan, père de la bombe atomique pakistanaise, ndlr].
Qu’est-ce que ces nouveaux essais impliquent ?
A l'origine, le débat dans la communauté internationale était de savoir si la Corée du Nord avait réussi à miniaturiser la bombe. Car c'est une chose de faire des essais dans le désert ou dans des laboratoires, mais parvenir à miniaturiser la bombe nucléaire, la placer dans la tête d'un missile, et la déplacer est très compliqué. En clair, miniaturiser la bombe revient à pouvoir s'en servir. Avec les essais d'aujourd'hui, le débat change de nature. La priorité est désormais de savoir si la Corée du Nord a fabriqué la bombe H.
La bombe nucléaire nord-coréenne est-elle une menace réelle ou est-ce un moyen de dissuasion ?
La Corée du Nord cherche à normaliser son statut. La doctrine nucléaire de la Corée du Nord est comme celles des autres pays, une force de seconde frappe, défensive. Si la Corée du Nord utilisait la bombe nucléaire de manière offensive, cela reviendrait à un suicide, allant à l’encontre de la priorité de la survie du régime. Elle n’a donc aucun intérêt à attaquer les pays voisins. Deuxièmement, la bombe nucléaire est un outil de légitimation interne pour le régime auprès de sa population. C’est une arme identitaire, présentée comme l’héritage de Kim Jong-il à son fils. Et selon eux, détenir la bombe et avoir un programme nucléaire, c’est s’ériger en régime fort apte à protéger la population assiégée par l’ancien colonisateur japonais et l’impérialiste américain.
Enfin, le régime prouve à sa population ses prouesses technologiques et sa puissance qui le place au même niveau que les Américains, trouvant par la même une légitimation aux souffrances et privations du peuple depuis plusieurs décennies. Troisièmement, le statut nucléaire de la Corée du Nord permet de rééquilibrer les forces dans la péninsule coréenne. En effet, la Corée du Sud est bien plus puissante que la Corée du Nord sur le plan économique (rapport de 1 à 20) et militaire conventionnel.
Quelle est la marge de manœuvre de la communauté internationale ?
Elle est très réduite. Depuis plus de soixante ans, il y a un embargo américain et les sanctions internationales contre la Corée du Nord se sont considérablement renforcées depuis 2006, date du premier essai nucléaire. Le régime parvient néanmoins à survivre et surtout à continuer son programme nucléaire. Il y a peu de choses qu’on peut faire de plus. De plus, certaines puissances ont un intérêt au statu quo. La Chine empêche toute sanction commerciale car cela pourrait affaiblir l’économie du pays et conduire à un effondrement du régime nord-coréen qui aurait des conséquences néfastes à long et court terme.
C’est-à-dire ?
A court terme, l’effondrement du régime nord-coréen revient à ouvrir la boîte de Pandore, une période de profondes incertitudes quant à l’avenir des armes de destruction massive que le pays possède, nucléaires mais aussi chimiques et bactériologiques. La question de millions de réfugiés nord-coréens se rendant en Chine serait très problématique tout comme le risque d’incidents militaires entre Pékin et Washington si les deux pays déploient des troupes dans le pays. A long terme, une Corée réunifiée réduirait l’influence chinoise dans la péninsule. Une Corée nationaliste pourrait avoir des revendications territoriales alors qu’une importante minorité coréenne est présente dans le Nord-Est chinois. Enfin, une Corée unifiée alliée des Etats-Unis accroîtrait le complexe d’insécurité chinois et la paranoïa quant à un encerclement américain.