L'Etat d'urgence a été déclaré mercredi. La Californie est confrontée depuis le 23 octobre à une fuite de méthane, détectée dans la banlieue nord-est de Los Angeles sur l'ancien site pétrolier d'Aliso Canyon. Converti en 1973 en centre de stockage de gaz, il sert de réserve d'approvisionnement. Exploitée par la société SoCalGas (Southern California Gas), la réserve souterraine, située à 2 500 mètres de profondeur, permet de subvenir aux besoins de plus de 20 millions de consommateurs grâce aux 240 milliards de m3 de gaz stockés dans 115 puits.
Grâce à la proclamation de l'Etat d'urgence, «toutes les agences gouvernementales» vont pouvoir être mobilisées et «utiliser leurs personnels, équipements et infrastructures pour assurer une réponse continue et complète face à cet incident», a affirmé le gouverneur Jerry Brown. Retour sur la catastrophe industrielle.
Quelle est l’ampleur de cette fuite ?
Entre 30 et 50 tonnes de méthane s'échappent par heure de la fissure du puits SS-25, selon l'ONG Environmental Defense Fund (EDF), qui actualise en temps réel les taux d'émission. Au total, plus de 80 300 tonnes de gaz ont été rejetées dans l'air depuis fin octobre. Soit l'équivalent des émissions de gaz à effet de serre (GES) de sept millions de voitures ou une petite dizaine de centrales à charbon, selon EDF.
Quel est l’impact sur les habitants ?
Le méthane est inodore et invisible. Inhalé à forte dose, il provoque l'asphyxie. Pour qu'il soit détectable, il est mélangé à des composants riches en soufre – appelés mercaptans, qui lui confère une odeur nauséabonde «d'œuf pourri». Mais ces additifs peuvent provoquer des nausées, des vertiges, des saignements de nez et des maux de tête. Plusieurs centaines de riverains de Porter Ranch en ont fait les frais.
Même si les autorités sanitaires ont affirmé qu'il n'y a aucun danger pour la santé – car le méthane se dissipe rapidement et n'atteint pas la concentration nécessaire pour être mortelle –, plusieurs habitants se sont unis pour porter plainte contre SoCalGas. Puisqu'ils ont obtenu gain de cause la semaine de Noël, la société doit dorénavant trouver un logement temporaire dans les 72 heures pour tous les résidents de Porter Ranch qui en font la demande. Près de 2 174 foyers ont déjà été relogés et 2 694 autres devraient l'être rapidement. Deux écoles ont aussi fermé.
Erin Brockovich, militante écologiste célèbre pour avoir révélé une affaire de pollution des eaux potables à Hinkley, a rendu visite aux habitants jeudi et n'hésite pas à comparer la catastrophe à la marée noire de 2010 dans le golfe du Mexique.
Quel est le risque à long terme ?
Les experts interrogés sont unanimes : c'est une catastrophe écologique majeure. Le méthane «est 84 fois plus puissant que le CO2 concernant le déréglement climatique, explique Jesse Coleman, membre de Greenpeace contacté par Libération, cette fuite est d'ores et déjà devenue la première cause de pollution dans l'état californien». Son pouvoir de réchauffement est vingt fois supérieur à celui du CO2. Aujourd'hui, le méthane représente seulement 16% des émissions de GES à l'échelle de la planète. Mais à cause du geyser de méthane, d'ici un an, les GES vont augmenter de 25% dans la région selon les estimations de l'autorité de la qualité de l'air en Californie (California Air Resources Board). Triste ironie du sort pour un Etat dont le gouverneur, Jerry Brown, a émis en octobre 2015 plusieurs directives afin de réduire justement les gaz à effet de serre de 40% d'ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Une législation écologique avant-gardiste aux Etats-Unis – le deuxième plus gros émetteur de GES après la Chine –, saluée ainsi sur Twitter par Greenpeace à l'époque : «La Californie vient de passer une loi historique sur le climat mais les gros groupes pétroliers (#BigOil) ont empêché qu'elle le soit plus encore.» Heureusement, le méthane ne reste «que» vingt ans dans l'atmosphère contre un siècle pour le CO2.
Comment colmater la fuite ?
Depuis la mi-décembre, SoCalGas doit creuser un puits parallèle à celui endommagé. Cette nouvelle canalisation devra ensuite être connectée à l'ancienne pour détourner le flux de gaz. Ces travaux complexes expliquent les délais aussi longs. Fin décembre, la société a publié un communiqué sur l'avancée des travaux, expliquant qu'ils en étaient à la troisième phase sur cinq. Le puits de secours devrait être prêt début mars.
Qui est responsable ?
Vieux de 61 ans, les puits commencent à dater. Jason Marshall, directeur du département californien chargé de superviser les puits d'extraction pour la Californie, confirme les risques liés à l'usure des canalisations dans un entretien au Los Angeles Times. Opérationnel depuis 1954, le puits SS-25 a d'abord pompé du pétrole, puis du méthane à partir de 1973. La dernière inspection remonte au 21 octobre 2014.
«SoCalGas n'a pas entretenu son installation correctement, conduisant à des problèmes pour la santé et la sécurité des habitants», dénonce Matthew McNicholas, l'un des avocats des familles, dans un communiqué. Les associations de riverains reprochent aussi à la société l'absence de valve de sécurité au dessus du puits pour stopper des émissions de méthane en cas de fuite.
«Le puits a été construit avant les normes modernes de sécurité», poursuit Jason Marshall. Désormais, les autorités réfléchissent à rendre les inspections plus fréquentes et à revoir les règles de construction des puits. «Il va y avoir des changements sur la manière dont le gaz est stocké.»
Jesse Coleman est quant à lui sans concession : «Cette fuite nous rappelle qu'on ne peut pas avoir confiance en ceux qui exploitent les hydrocarbures car ils ne nous protègent pas assez des risques. Tant qu'on se reposera sur ces dangereuses énergies fossiles, on sera vulnérable à ces désastres environnementaux et de santé publique.»