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Libération

Sean Penn s’offre un trip gonzo chez El Chapo

L’acteur a rencontré dans la jungle mexicaine le baron de la drogue en cavale depuis six mois, ce qui aurait contribué à son arrestation, vendredi. Il en a tiré un déroutant récit publié par «Rolling Stone».
publié le 10 janvier 2016 à 19h31

Avant que le plus gros trafiquant mondial de drogue ne soit arrêté vendredi, Sean Penn avait secrètement rencontré Joaquín «El Chapo» Guzmán pendant sa cavale, en octobre. Il raconte tout dans un interminable article façon journalisme gonzo, publié samedi par le magazine américain Rolling Stone.

Qu'y apprend-on ? Cette information essentielle : quand Penn a serré la main du baron de la dope, l'acteur a lâché un pet. Oui. Prout. Et comme le narco mexicain est un homme bien élevé, il n'a pas relevé. On suit aussi Penn en train de pisser dans la forêt mexicaine où se planque le roi des stups, ce qui l'amène à philosopher sur l'essence de la vie : «Ma bite en main, je considère cette partie de mon corps qui pourrait s'avérer vulnérable aux couteaux de narcos, et je lui lance un long regard avant de la remballer dans mon pantalon.»

A part ça, il n'y a pas eu d'interview : après cette rencontre qui a duré sept heures, les deux stars devaient se revoir huit jours plus tard pour le questions-réponses, mais ça ne s'est pas fait - El Chapo («le petit», il mesure 1,55 mètre) avait un agenda d'enfer et surtout une horde de flics aux fesses. A la place, il a parlé par téléphone et envoyé une vidéo de dix-sept minutes à Penn. On y apprend que primo, El Chapo aime sa maman, et on l'en félicite. Secundo, certes, «les drogues détruisent», mais s'il vend de la drogue, c'est que, dans son village, il n'y avait que ça pour gagner sa vie, «la marijuana et le pavot», qu'il a commencé à faire pousser vers ses 15 ans (alors qu'il vendait des oranges depuis ses 6 ans). A quoi bon arrêter ? Un autre prendrait sa place : «Le jour où je n'existerai plus, cela ne réduira pas le trafic de drogue.»

«Nonne». Tertio, il n'est à ses yeux pas violent, ce qui paraît un brin osé, la carrière de tout narco se faisant sur sa capacité à éliminer physiquement la concurrence.«Tout ce que je fais, c'est me défendre, rien de plus. Mais est-ce moi qui commence ? Jamais.» Cela dit, il ne veut pas être décrit comme «une nonne». A Sean Penn, il s'empresse de demander s'il est connu aux Etats-Unis et se vante : «Je fournis plus d'héroïne, de méthamphétamine, de cocaïne et de marijuana que n'importe qui d'autre dans le monde. J'ai une flotte de sous-marins, d'avions, de camions et de bateaux.»

Evadé en 2001, arrêté en 2014, Guzmán s'était éclipsé de sa prison en juillet 2015 via un tunnel long de 1,5 km creusé par des complices. Mais à 58 ans, le patron du cartel de Sinaloa, qui pèserait un milliard de dollars, nourrit d'autres rêves moins aventureux : il aimerait investir dans le pétrole. Hélas, son argent aux origines illégales l'en empêche. A défaut, rapporte Penn, il pourrait dénoncer ces «grandes entreprises corrompues, au Mexique et à l'étranger», qui «ont blanchi son argent, prenant ainsi cyniquement leur part du gâteau des stups». El Chapo cite leurs noms tout en demandant de ne pas les diffuser. L'acteur américain obtempère : il a dû faire relire son œuvre avant de la publier - l'article est donc adoubé par le narco. Peut-être cela explique-t-il la bienveillance dont Sean Penn y fait preuve.

Mais comment a-t-il pu, sans être intercepté, rencontrer l'homme prétendument le plus recherché du Mexique ? Il a été introduit par une actrice mexicaine, Kate del Castillo, qui dialoguait avec El Chapo depuis quelque temps - elle-même a joué le rôle d'une reine de la came dans un soap opera mexicain, La Reina del Sur. Comme Guzmán avait été inondé de propositions d'Hollywood pour faire un film sur lui après sa capture en 2014, un de ses avocats aurait approché l'actrice. L'idée du film a été remplacée par celle d'une interview. L'actrice et le narco échangeaient par BlackBerry Messenger (BBM).

Raid. En octobre, le duo d'acteurs a été réceptionné au Mexique par le fils du trafiquant. Il a fallu une journée de voyage, notamment à bord d'un avion doté d'un équipement antiradars, pour atteindre le boss. Sur leur route, des soldats qui tenaient un barrage leur ont fait signe de passer sans contrôle quand ils ont reconnu le fils du Chapo, preuve de la porosité entre l'armée et les narcos, qui bénéficient aussi d'une gorge profonde les prévenant quand un avion de surveillance est susceptible de les repérer.

Des sources gouvernementales mexicaines ont affirmé samedi qu'elles étaient au courant de cette rencontre et qu'elles ont suivi les mouvements de Sean Penn, ce qui les aurait aidées à localiser El Chapo et à attaquer quelque temps plus tard son ranch dans l'Etat de Durango lors d'un raid de plusieurs jours, sans réussir alors à l'arrêter. Guzmán avait été blessé. Vendredi, il a été repris à Los Mochis, dans son Etat natal du Sinaloa, après un affrontement au cours duquel la marine mexicaine a tué cinq de ses hommes.Lui était sale et débraillé, mais vivant. «Je sais qu'un jour je mourrai, mais j'espère que ce sera de cause naturelle», dit-il à Rolling Stone.

Le Mexique, ridiculisé par son évasion de 2015, n’est plus opposé à son extradition aux Etats-Unis. Si elle a lieu, Sean Penn pourra peut-être réaliser son interview dans une cellule américaine. En attendant, les autorités mexicaines veulent l’entendre, ainsi que sa consœur Kate del Castillo.